(Pour une politique de l’estime…)
L’estime est-elle un angle mort de la campagne présidentielle ?
C’est pourtant la grande oubliée des urgences et des transformations à venir qu’elles soient économiques, numériques et écologiques. Or, l’économie et la politique post-covid risquent de se fracasser sur ce mur invisible.
Le risque d’invisibilité est un risque sociétal
Dans la cité, comme dans les entreprises, il est temps de revitaliser la dignité des gens, des actes et des métiers. Car le sentiment d’indignité du laissé pour compte s’accompagne depuis des années par la dégradation volontaire du beau geste. Dans tous les champs de la société, il a été réduit en procédures et actes mécaniques sur fond de mépris bureaucratique.
Il est temps de voir au-delà du court-terme et des indicateurs objectifs et immédiatement constatables au détriment parfois de ce qui fait la valeur du travail pour celui qui l’exerce.
Chez les cols bleus comme chez les cols blancs, la violence moderne faite à la dignité des métiers est une violence perçue d’autant “plus douloureuse qu’elle vient toucher le geste, le cœur à l’ouvrage, la noblesse qu’il peut y avoir dans l’acte du travail.”
“La modernité n’a pas rendu les gens plus cruels. Elle a seulement inventé une façon par laquelle des choses cruelles pouvaient être réalisées par des personnes non cruelles”
Zygmunt Bauman
Il est donc urgent de voir au-delà du trimestre et du quinquennat. Il est temps d’avoir des horizons plus élevés des KPIs moins minuscules et de bâtir un altruisme du futur.
Le pire des maux modernes : l’anxiété d’être superflu
Les gens sentent qu’ils ne font plus partie de l’histoire du futur. Ils se disent « le futur n’a pas besoin de moi. »
Yuval Noah Harari
Un phénomène nouveau dans les sociétés occidentales est celui des morts par désespoir. Les “deaths by despair”. De plus en plus de gens abandonnent le combat d’une vie car il ne se sentent plus dignes. Ils ne se sentent plus dignes car ils constatent que la possibilité même de progression sociale jadis interdite par la naissance est aujourd’hui privatisée et hors de portée. L’estime serait-elle devenue censitaire ?
Et c’est le constat le plus cruel, Ils ne peuvent plus jouer et ne veulent plus jouer car ils ont compris, parfois de la manière la plus cruelle qu’ils ne font plus partie du jeu. L’insignifiance perçue nourrit l’indignité qui finit en indignation.
Les nouveaux désestimés savent que l’ascenseur social est bloqué, que le plafond de verre est de plus en plus impénétrable ou lié à la surface financière. Dans ces cas tragiques, l’inverse du désespoir n’est plus l’espoir, c’est l’estime.
Comment l’utilité sociale peut rester un tel impensé alors que partout et au-delà des débats partisans, les voix s’élèvent pour sortir d’une société qui produit, parfois de manière industrielle, ce déni de reconnaissance.
Et non, l’estime n’est ni une notion de gauche ni une notion de droite c’est un bien commun aujourd’hui en déshérence car privé d’horizon. L’impossibilité à renouveler l’estime est un échec majeur de nos politiques :
“L’un des fils rouge est l’échec des partis de centre gauche à gérer l’inégalité causée par la globalisation…Les partis sociaux-démocrates ont échoué dans leur mission historique de mettre un frein au capitalisme excessif. Ils ont échoué à lui demander des comptes…et à rechercher une société plus juste. « Ils ont converti l’inégalité des revenus et des richesses qui est déjà assez mauvaise en une inégalité d’estime. »
Michael G. Sandel, Philosophe, analyste politique et Professeur à Harvard
Il est donc temps de penser au-delà des petits livres bleus et des petits livres rouges et des débats stériles car à ce jour, malgré les vociférations, aucune vision économique et politique ne parvient à calmer l’hubris des vainqueurs et l’humiliation des vaincus.
Colères et choc de modernité
Pourtant, le premier constat est que les colères, quelles que soient leurs formes ou leurs expressions dans le spectre politique, prennent leur source dans l’inégalité réelle et perçue créée par le choc de modernité des progrès industriels et technologiques.
Elles illustrent l’impasse de l’hyper-individu confronté à l’injonction de la performance économique et ne sont jamais aussi fortes que lorsqu’elles s’accompagnent de ce sentiment indélébile de “perte de dignité” comme nous l’explique Pankaj Mishra.
Or la terrible leçon de l’histoire demeure : “les gens ignorés feront des choses qui ne pourront être ignorées.”
Combien vaut l’utilité sociale ?
S’interrogeait récemment Philippe Emont sur Umanz. L’estime n’est-elle pas le chaînon manquant d’u fameux “faire société” qui s’écroule sous nos yeux .
Le constat n’a pas changé. Il est juste devenu plus urgent. Dans un contexte de crise économique, pandémique et climatique aigu, le sujet de l’invisibilisation, celui de l’immense besoin de dignité et d’estime constitueront les enjeux majeurs de la nouvelle élection à droite, à gauche, mais aussi au sein des entreprises.
Ne faites pas de l’estime un irréversible, ne le laissez pas aux marchands de ressentiments.
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