Le Mono No Aware est l’art de voir l’émotion dans les choses et de les transcrire. Un art de l’éphémère. Une attitude teintée de mélancolie face à l’impermanence.
Le Mono (pour chose) No Aware (surprise) apparait dans les poèmes du VIIIème siècle à l’évocation des cris plaintifs d’animaux ou du chant des oiseaux. Il renaît pendant l’ère Edo au Japon sous la plume de Motoori Norinaga dans ses commentaires sur le Dit du Genji un récit légendaire du XIème siècle. (The Tale of Genji).
Il sert à désigner une sensation subtile entre la « poignance » et le « sentiment profond », l’attachement à la beauté du transitoire, à ce qui meurt, tout comme à l’étrange beauté des objets qui nous survivent. On le retrouve dans les sons des cloches du temple de Gion.
…comme dans la fleur de Sola. ou dans le spectacle des cerisiers en fleur qui ne durent qu’une semaine. En occident, on a parfois comparé le Mono No Aware Japonais aux “Larmes des Choses” (Lacrima Rerum) de Virgile.
« Si l’homme ne devait jamais s’effacer comme les rosées d’Adashino, jamais s’évanouir comme la fumée sur Toribeyama, comme les choses perdraient leur pouvoir de nous émouvoir ! Ce qu’il y a de plus précieux dans la vie, c’est son incertitude. »
Yoshida Kenko
La fulgurante transcendance des choses
Le Mono No Aware s’exprime aujourd’hui dans les mangas à dominante écologique. On le retrouve chez l’auteur Hitoshi Ashinano (Yokohama Kaidashi Kikō) , Kozue Amano (Aria) et le réalisateur Isao Takahata, co-fondateur du Studio Ghibli avec Hayao Miyazaki. Le tombeau des lucioles illustre parfaitement ce mélange de surprise enfantine et d’impermanence
Qui n’a pas chez lui un objet à forte charge émotionnelle ? Un “rosebud”, une madeleine à lui. On retrouve encore le Mono No Aware dans le cinéma d’Ozu spécialiste du pathos des objets avec sa fameuse scène finale du vase dans le film Printemps Tardif. Il est également transcrit dans les œuvres de l’artiste Jean Degottex.
Dans une nouvelle pré-apocalyptique, intitulée Mono No Aware, l’auteur de Science-Fiction Ken Liu capture la magie du Mono No Aware, l’idée maîtresse de la frontière entre émerveillement et l’évanescence :
« Les étoiles brillent et clignotent.
Nous sommes tous des invités de passage,
un sourire et un nom. »
Ken Liu, Mono No Aware
Car le Mono No Aware détient une vérité. Une vérité qui rejoint cette idée toute simple : “ton extraordinaire est fonction de ce que tu fais de l’ordinaire.”
“Et une vie secrète commence dans les choses, ce que tu croyais mort et sans vie révèle une vie secrète et une intention impitoyable.”
Carl Jung, Livre Rouge
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