Ressentez-vous comme moi une sourde poignance, comme un sentiment d’été écrasé, à la vue des rayons de fournitures scolaires mis en place dans les supermarchés dès le 1er juillet ?
Dans l’ancien monde performatif dans lequel j’évoluais. La rentrée ne s’appelait pas rentrée : elle s’appelait Back To School.
Mais c’est étrange, chaque année il me semble qu’il est toujours trop tôt pour rentrer. Comme un étrange retour à l’enfance. Alors, comme l’été dernier, j’ai voulu vous proposer quelques bouchées contemplatives, quelques restes d’été.
Pour moi, l’émerveillement est un geste de survie et souvent, je suis autant arrêté par les textes que par les paysages. Heureusement cet été, d’incroyables phrases se sont posées sur mon chemin. Je vous partage les plus délicates et les plus saisissantes.
Trouvées
Ces phrases qui remuent la chair et l’âme chez Clarice Lispector :
“Sans la surprise toujours renouvelée de l’écriture, je mourrais en pensée chaque jour.”
Ou encore, celle ci, dans l’histoire déchirante de la pauvre Macabea
“Elle me tire peine. Je suis bien le seul à pouvoir lui dire : Que me demandes-tu en pleurant que je ne te donnerais en chantant ?”
Médité
Cette phrase qui n’a pas manqué, depuis, de déclencher des sourires entendus autour de moi :
– J’ai des pressentiments. Ce que tu vois dans l’immeuble d’en face a toujours l’air enviable, mais quand tu t’y trouves, tu as envie de sauter par la fenêtre. Je connais un conseiller d’Etat qui a eu une crise mystique et a failli se faire écraser par un autobus. Puis il est resté conseiller d’Etat. Je connais des gens qui se sont délabrés à essayer de se ressembler, et d’autres qui doivent changer de voiture tous les deux ans pour savoir qu’ils existent.
Tu te souviens de la fois où tu m’as demandé ce que faisaient les gens dans leurs appartements ? Je t’ai répondu : ils vont de pièce en pièce, et c’est la meilleure réponse qu’on puisse faire. Je vois des gens qui se plaignent de vieillir, de ne plus pouvoir monter les escaliers aussi bien qu’avant : mais les âmes s’usent encore plus vite que les corps.
Frédéric Berthet, Simple Journée d’été
Relu
Cette phrase aérienne d’Emily Dickinson
Un poète – C’est celui
Qui extrait un sens surprenant
De signes ordinaires –
Incorporé
Et trouvé tant d’échos dans ma pratique Second Act à cette pure fulgurance de Marguerite Yourcenar partagée par l’ami écrivain-baroudeur Frédéric Pie :
Ne jamais perdre de vue le graphique d’une vie humaine, qui ne se compose pas, quoi qu’on dise, d’une horizontale et de deux perpendiculaires, mais bien plutôt de trois lignes sinueuses, étirées à l’infini, sans cesse rapprochées et divergeant sans cesse : ce qu’un homme a cru être, ce qu’il a voulu être, et ce qu’il fut.
Ni rire, ni pleurer, ni haïr mais comprendre.
Marguerite Yourcenar
Apprécié
À sa juste valeur cette phrase, moi qui creuse en permanence la vaste question de l’amitié :
“L’amitié à l’inverse de l’amour, se passe des phrases qui rassurent.”
Louis Nucéra
Compté
Sur mes doigts, après avoir découvert, chez Patrick Tudoret, cette terrible question de Marcel Moreau :
“Combien de prisons bipèdes avons-nous croisées ?”
Amusé
Moi qui lutte en permanence contre la tentation de l’estrangement, par cette phrase de l’essayiste Daniel Pinchbeck :
“J’ai une légère tendance à l’auto-exil.”
Écouté
Ce conseil de Robert MacFarlane :
“N’écris pas sur les rivières soit écrit par les rivières.”
qui m’a rappelé cette phrase de Saint-Exupéry qui m’accompagne chaque jour en tant que papa :
“Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer.”
Visualisé
Cette scène inouïe, féroce et plus vraie que vraie de Grégor Von Rezzori :
“Mais où sont-elles passées les grappes de ménopausées au rictus accordéon, masquées de lunettes fumées aux montures en ailes de papillon, tels des masques de carnaval, leurs coiffes de patronne en résille comme autant de toiles d’araignées posées sur des cheveux couleur bleu lessive et des nids de fourmis entre les jambes ?
Où sont donc leurs escortes et consorts aspergés de Mennen et toilettés comme des cadavres, eux et leurs pantalons couleur framboise et leur veston à carreaux aux teintes criardes, pareils à des clowns, des mocassins blancs comme neige habillant leurs énormes panards et, comme la porcelaine des lavabos, leurs dents plantées dans leur grande gueule ? Où était donc tout cela ?”
Soupesé
Ces vers du poète David Whyte :
“Parfois, il faut l’obscurité
Et le doux confinement de votre solitude Pour apprendre que tout chose, ou toute personne
Qui ne vous met pas en vie
Est trop petite pour vous.”
J’y ai retrouvé l’écho du regretté Robin Williams
“J’ai toujours pensé que le pire truc qui pourrait nous arriver dans la vie c’est de finir sa vie tout seul… mais c’est faux. Le pire truc qui pourrait nous arriver c’est de finir notre vie entouré de personnes qui nous font se sentir seul.”
Robin Williams
Compris
La singularité du regard de Nietzsche tel que le décrivait son amie Meta Von Salis :
“Son regard semblait le plus souvent tourné vers l’intérieur ou bien, surgissant du plus profond de lui-même, semblait chercher quelque chose qu’il avait presque renoncé à encore espérer; mais ces yeux étaient toujours ceux d’un homme qui avait beaucoup souffert et qui, bien que resté vainqueur, dominait le cœur lourd des gouffres de l’existence.
C’étaient des yeux inoubliables brillant de la liberté du triomphateur, élevant leur deuil et leur protestation de ce que le sens de la terre et sa beauté eussent été tournés en non-sens et en laideur.”
Aimé
Le paradoxe de cette phrase sur l’amour du philosophe Pascal Chabot
“Aimer c’est donner ce que l’on n’a pas et le créer en le donnant.”
Pascal Chabot
Durablement ébloui
Par cette extrait incroyable de “lettres aux femmes” de Francis Jeanson :
Je vous regarde mon amie. De mes deux mains ouvertes, j’entoure votre visage et le contemple longuement. Vos pensées m’échappent, sous vos paupières closes, mais non point cette larme en suspens qui vient de se former entre vos cils.
Je voudrais que vous n’ayez plus mal. Je voudrais que vous soyez heureuse. Je voudrais qu’à travers toutes mes maladresses et tant de mots que j’aligne, les uns insignifiants les autres superflus, quelque chose vous parvienne de cette vive tendresse avec laquelle je pense à vous et qu’aucun naufrage, en tout cas, ne saurait menacer.
Demain, je vous écrirai mieux. Ce soir, j’aimerais vous bercer
Et découvert (et réécouté en boucle)
Ces deux interprétations d’Une minute de silence de Michel Berger : celle-ci et celle-là aussi.
Bonne rentrée à tous.