En 1956, un dandy Anglais du nom de Colin Wilson publie, à 24 ans, un essai qui deviendra un phénomène de librairie. Ce livre culte “The Outsider” sera plus tard publié en France et merveilleusement traduit par Gallimard sous le titre : “L’homme en dehors”.
Le livre est un portrait intime de grands outsiders réels ou fictifs (Hesse, Dostoievsky, Nietzsche, Van Gogh, T.H Lawrence, H.G Wells, Le Roquentin de Sartre, Kafka, Nijinsky) et de leurs personnages miroirs. C’est surtout une plongée profonde dans l’intériorité de ces authentiques rebelles.
Emily Brontë, Anaïs Nin et Simone Weil sont absentes du livre, pourtant elles y auraient eu toute leur place.
Le best-seller vendu à des millions d’exemplaires, gardera longtemps une place de choix dans les bibliothèques des grandes icônes rock parmi lesquelles Jim Morrison, David Bowie et Morrissey des Smiths.
Mais qu’est-ce qu’un outsider au sens de Wilson ?
Pour l’auteur un outsider est avant tout un personnage en recherche d’intensité d’être. C’est un gardien jaloux de son expression personnelle sans cesse menacée, par la pire des banqueroute, la banqueroute spirituelle.
L’outsider, mal adapté au monde, voit trop profond, trop grand, “il ne peut vivre dans le monde confortable et isolé du bourgeois, acceptant ce qu’il voit et touche comme la réalité.” nous dit Wilson. Pour le meilleur et pour le pire, il a cette fameuse “dimension de trop” d’Herman Hesse.
En bref, il voit trop le monde, trop crûment et hors des masques. Il en ressent comme un étonnement inguérissable, souvent un estrangement indélébile : “le sentiment d’irréalité de l’Outsider coupe sa liberté à la racine. Il est aussi impossible d’exercer sa liberté dans un monde irréel que de sauter alors que l’on tombe.” explique Wilson.
Après une telle connaissance…Quel pardon ?
L’Outsider est un hyperconscient à jamais blessé par sa condition. “La nature humaine est malade est l’outsider est l’homme qui contemple cette triste vérité.” poursuit Wilson.
La quête de l’Outsider est donc souvent solitaire et quasi désespérée. Une quête affamée née d’un appétit impossible : « Il doit trouver des choses qu’il ne peut pas perdre » (Hemingway) quelque chose de vrai qui lui “remplisse l’estomac”.
Ne plus être outsider
Mais, la volonté ultime de l’outsider est de ne plus être outsider. Il cherche en vain “l’innigkeit” : ce mélange de profondeur émotionnelle et de sincérité personnelle que l’on retrouve chez les saints.
Fuyant les trivialités humaines et “la vie de surface”, il repousse sans cesse son retour au monde. Pour lui “la façon dont la plupart des hommes vivent n’est pas du tout une vie ; c’est une dérive. »
On retrouve souvent chez les Outsiders, des prophètes prédestinés, des porteurs de monde. Pour toujours hors époque, ils font souvent figure de parias et d’inadaptés. Ils ne supportent pas le bullshit du monde et cherchent d’autres aspirations, un plus haut sens capable de nourrir leur nécessité d’être.
Agir pour se libérer
La libération viendra par l’acte, pas la pensée précise Colin Wilson en examinant les vie des grands outsiders. Des actes de volonté titanesques qui leur permettront de surmonter le doute et le questionnement.
L’outsider cherche ce moment Nietzschéen de « pure volonté, hors des perplexités de l’intellect.” Il cherche “le plus qu’humain versus le si humain.”
La force de vie capable de dissoudre la misère de la condition humaine.
Car quand certains vivent la course du rat, l’outsider lui, est dans une course à l’intensité. Mais cette course est sans cesse remise, interrompue, sans cesse anéantie par les trivialités et les mesquineries humaines. Un combat éreintant qui le mène naturellement vers la quête d’expériences humaines artistiques ou sensorielles extrêmes (“peak experiences”).
Exilé sur le sol au milieu des huées ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Car sans intensité, le destin de l’outsider rejoint les ailes brisées de l’Albatros ou la nausée de Roquentin. Il est parfois au bord du désespoir comme dans cette saisissante déclaration de l’un des personnages de la pièce de théâtre d’Axel Castle : « La qualité de nos espoirs ne nous autorise plus la terre. »
Et pourtant, il faut continuer à vivre. Maintenir la “fureur sacrée” de Blake pour ne pas finir en homme creux, en homme empaillé (T.S Eliot), se tenir droit dans un monde aplati, se tenir à cette phrase mystérieuse de Rilke : “Malgré tout, je loue”.
Vive haut donc et continuer à méditer cette ultime fulgurance de Bernard Shaw : “L’homme raisonnable s’adapte au monde ; le déraisonnable persiste à essayer d’adapter le monde à lui-même. Par conséquent, tout progrès dépend de l’homme déraisonnable.”