L’émerveillement est le bonbon de l’âme - Umanz

L’émerveillement est le bonbon de l’âme

L’émerveillement est le bonbon de l’âme

Vos paupières se lèvent dans une interrogation muette, vos yeux s’écarquillent , votre bouche s’arrondit en un Oh silencieux, votre souffle est coupé.

Quelque chose monte dans le dos ou dans la gorge…Ça y’est vous êtes tombé en émerveillement…

L’émerveillement est un super pouvoir, c’est le bonbon de l’âme. Simplement, nous en avons oublié la formule et parfois l’envie.

Qu’avez-vous fait de votre capacité d’émerveillement ? Vous souvenez vous de votre premier émerveillement ? Quand est-ce que vous vous êtes émerveillé pour la dernière fois ? Et si nous rentrions une nouvelle fois dans le pays de la merveille ?

Le dictionnaire nous dira d’un ton un peu docte que l’émerveillement est un « éveil, une expansion de la conscience par la réalisation d’une confrontation avec une possibilité inédite ou avec la vastitude d’un océan, d’une montagne, d’une hauteur, d’une planète. »

C’est juste…mais ce n’est pas suffisant, la vérité est que le mot merveille vient du Latin Mirabilia qui a donné naissance au mot miracle.

Nous nous approchons. Car, au départ…l’émerveillement est une sensation :

Qu’est qui vous a coupé le souffle ?

Qu’est-ce vous a donné la chair de poule ?

Des picotements dans le haut de la colonne vertébrale ?

Cette boule d’émotion dans la gorge ?

Ethan Kross, psychologue à l’université du Michigan décrit l’émerveillement comme “La fascination joyeuse que nous ressentons quand nous rencontrons quelque chose de puissant que l’on ne peut pas expliquer.”

C’est peut-être la citrouille de Cendrillon se transformant en carrosse, les chutes du Niagara, le passage en hyperespace dans StarWars, les premiers dinosaures dans Jurassic Park, les premiers Pixar, un acte de sacrifice, une beauté saisissante, L’été indien au canada, le lac des cinq fleurs en Chine, l’île des morts d’Arnold Böcklin, le Duo des fleurs de Lakmé, nager à côté de dauphins, de baleines et de requins baleines.

Engager l’esprit c’est engager les sens

Le premier produit de l’émerveillement c’est un détachement de soi que les anglo-saxons désignent sous le terme d’unselfing.

L’émerveillement diminue le vacarme mental, les petites ruminations, il réduit dans notre cerveau le « mode par défaut » (DMN ou Default Mode Network).

Mais ce qui est plus fascinant est que l’émerveillement a une vertu magique, il rapproche les gens. Ainsi, après une expérience d’émerveillement, un groupe se dessinera toujours en plus petit.

La merveille est un produit de l’enfance

« Tout être humain porte en soi un petit garçon ou une petite fille qui pense, agit, parle, s’émeut et réagit exactement de la même façon que lorsqu’il était un enfant. » selon Berne, l’émerveillement nous permet à loisir de retrouver l’enfant libre, naturel et spontané qui est en nous et que nous avons oublié.

C’est là la première leçon de l’émerveillement. Pour ressusciter sa capacité d’émerveillement il ne faut jamais oublier ses premiers émerveillements. Savoir se barbouiller d’enfance :

« On devrait barbouiller d’enfance sa vie entière

la garder dans cette belle lumière

l’éclabousser encore des années après

avec cette lampe magique

Conserver l’éclat des émotions

des émerveillements aux genoux écorchés vifs

le goût du caillou porté à sa bouche

le goût des étoiles portées à ses rêves

Nous avons tant à perdre

en perdant l’enfance

Et tant l’ont déjà perdue »

Jacques Dor

L’émerveillement est suspension

S’émerveiller, c’est aussi lâcher quelque chose. C’est la suspension d’une croyance.

C’est à la fois ôter un masque d’adulte mais aussi poser un immense sac de cailloux. S’émerveiller, c’est retrouver l’esprit du jeu et de la joie. C’est tâtonner à la recherche de la personne que nous n’avons jamais cessé d’être.

C’est ce que nous explique Daniel Justice, anthropologue et spécialiste des peuples indigènes qui retrouvait chez ces peuples premiers cette capacité magique étouffée dans le monde moderne.

« Dans une grande partie de la culture occidentale, l’idée que les animaux parlent est considérée comme fantastique ou que les arbres aient des enseignements à partager est considérée comme fantastique. Mais dans nos traditions, ce n’est pas de la fantaisie. Ce ne sont pas des spéculations. Ce sont des réalités. Et tous les peuples ont un langage. Tous les peuples ne sont pas humains. » explique t-il.

Le merveilleux est création

L’autre leçon oubliée est celle de l’imagination et de la création. Qu’avons nous oublié en chemin ? Que nous sommes des créateurs volontaires de merveilles.

Car derrière notre capacité à s’émerveiller il y a, chez l’homme, la capacité à produire de la merveille. C’est le talent des créateurs et la magie des artistes

« Nous sommes les créateurs de musique,

et nous sommes les rêveurs de rêves,

errant près des brise-mer solitaires,

et assis près des ruisseaux désolés,

Ceux qui perdent le monde et ceux qui le fuient,

sur lesquels la pâle lune brille :

Pourtant, nous sommes ceux qui bougent et secouent

le monde depuis toujours, il semble”.

Arthur O’Shaughnessy (Ode)

L’Historien d’art John Onians parlera à ce propos de partage. Face à une ouvre d’art, on est conscient de l’impact que ça a sur soi et sur les autres. La merveille rassemble.

L’émerveillement provoque alors une communion ; une union commune. Il nous rappelle que les plus beaux émerveillements rapprochent de l’autre.

L’émerveillement est l’un des fondements du sens

“Les bienfaits de l’émerveillement concernent d’une part la perception d’un sens intrinsèque, mais pas seulement. L’émerveillement est à même de fonder le sens en tant que tel.” Nous explique Sébastien Bohler

Ceux qui ont eu la capacité de vérifier scientifiquement l’effet de l’émerveillement sur le cerveau comme le Chinois Fang Guan de Université de Guangzhou ont constaté sur IRM que les émerveillements provoqués par le spectacle de montagnes majestueuses, de couchers de soleils, de vagues géantes avait un effet vérifiable sur le cerveau. Les « émerveillés » possédaient un cortex cingulaire plus petit car moins enflé de stress synthétique.

L’émerveillement est fugace

On savait l’émerveillement rare. C’est en effet un moment fugace qu’il va falloir saisir. Attraper au vol pour le ressentir intensément. De même que la capacité à convoquer l’enfance, la capacité d’émerveillement est une prédisposition.

Pour pénétrer dans l’espace de la merveille, celui des monstres et des prodiges que décrit la Psychanalyste Françoise D’avoine il faut se tenir prêt « à l’entrée en contact avec les êtres faés, lutins, elfes, trolls, korrigans ». Il faut aussi savoir accueillir les Kledones, ces étranges signes du destin des Grecs anciens. Et oui, pour répondre à votre interrogation, l’expression êtres faés existe bel et bien, c’est même l’une des clés de l’espace de la merveille.

Car même fugace, la merveille peut vous saisir à tout moment encore faut-il savoir s’arrêter et la savourer avant qu’elle ne passe.

« La nuit était superbe, les fleurs de rosiers embaumaient, et il faisait un de ces temps merveilleux qui donnent l’envie de vivre, le besoin d’aimer, la rage de le dire. »

Alexandre Dumas

L’émerveillement se cultive

Il ne faut pas non plus oublier que la capacité d’émerveillement se cultive. Il s’agit avant tout, nous explique Stevenson, de “découvrir où réside la joie, et lui donner une réalité bien au-delà du chant”. C’est là encore une question d’imagination et de création. En un mot, de poésie personnelle

“…La poésie personnelle, l’atmosphère magique, et cet arc-en-ciel tissé par l’imagination qui enveloppe ce qui est nu et ennoblit ce qui est vil” ajoute t-il.

En ce sens, le don d’émerveillement tient à un intense talent d’observation doublé d’un talent rare de restitution.

L’émerveillement est partout

« Si la réalité ne nous émerveille pas, c’est parce que nous avons pris l’habitude de la voir comme ordinaire.”

Brassai

De même qu’il y des spectacles de la nature grandioses et des œuvres d’art inoubliables, il y a aussi des émerveillements du quotidien. De petits émerveillements qu’il faut savoir saisir. C’est la joie de l’enfant sautant dans les flaques. C’est aussi l’inoubliable première gorgée de bière de Philippe Delerm.

Alex Box, artiste de mode, raconte dans une Keynote une sortie de la Tate Art Gallery avec son fils de 4 ans. Ils aperçoivent alors un artiste de rue qui fait des bulles incroyables et devant lui trois types de personnes et trois types de réactions :

1- L’enfant au sourire large et extatique qui va percer les bulles essayer de les attraper,

2- L’adulte en contemplation nostalgique devant la pure joie de l’enfant,

3- Un autre adulte pressé le visage fermé qui regarde la scène avec des yeux de colin froid.

Sa leçon est que l’on peut donc perdre l’émerveillement mais que souvent il se ranime dans les petites choses, dans les miracles de la vie minuscule.

La clé ? Toujours se rappeler de ces deux questions :

Où est la merveille ?

Qu’est-ce qui est merveilleux ici ?

“Regardez tout dans le monde comme si vous le voyiez pour la première fois, et peignez tout comme si vous le voyiez pour la dernière fois.”

Andrew Hamilton

Car l’émerveillement est comme cette clé, facile à perdre difficile à retrouver. C’est pourtant la clé de la vie haute.

Comme le rappelait Bowie

« Une fois que vous avez perdu ce sentiment d’émerveillement d’être en vie, vous êtes proche de la voie de sortie. »

Et c’est peut-être cela aussi l’émerveillement : un espoir et une confiance. C’est une opinion sur le monde, une volonté de croire aux révélations.

C’est enfin un marqueur de moments indélébiles dans l’uniformité des jours.

In fine, l’émerveillement est un appétit de vie, une croyance têtue et enfantine que le monde peut être miraculeux et magique et que oui, parfois, l’émerveillement nous sauve et nous maintient en vie.

Patrick Kervern