Hard Nostalgia est un terme émergent sur les nouvelles plateformes. Chez les millennials et la génération Z, il évoque un fort sentiment rétrospectif pour une expérience définitivement passée parfaitement évoquée par Twenty One Pilots dans “Stressed Out” :
“Sometimes a certain smell will
Take me back to when I was young
How come I’m never able to identify
Where it’s coming from?
I’d make a candle out of it
If I ever found it”
Généralement – et c’est ce qui l’oppose à la Soft Nostalgia (Intangible) – la Hard Nostalgia est provoquée par des objets physiques. On retrouve son expression chaque jour sur Twitter ou sur Reddit. Souvent, elle se cristallise dans des souvenirs nostalgiques d’une époque ou d’un phénomène culturel révolu qui ne se répétera plus : les pogues, les DVD de Princess Sarah, les Crados, les Americanas, les Game & Watch, les Tamagochis, les Vinyles, les RockLords, les Handpan originaux de Panhart, les cassettes.
Cet attachement mélancolique est une manière de résister à l’incertitude permanente de la pandémie et à la pénurie criante de sens de l’époque. Les artefacts de la Hard Nostalgia permettent de résister à l’érosion temporelle et à la commoditisation accélérée des choses.
La valeur des choses finies
La Hard Nostalgia est aussi un marché. Elle vient nourrir l’inflation des licences de propriété intellectuelle des “Retro Properties » comme nous l’apprend le site Licence Global ou les prix premium des retronics ou autres replitonics . La franchise des eighties et nineties “My Little Pony” vaut encore des milliards et ses figurines les plus rares comme Baby Medley peuvent grimper jusqu’à 700 dollars sur EBay. Sur Artoyz, l’Astro Boy Superb mis en vente à 1250 Euros a été rapidement sold out.
Michael Rouah, le fondateur passionné de Artoyz, commercialise ces objets du désirs depuis 18 ans. Il me confiera que l’un des objets qui marche le mieux sur son site est le Be@rbrick. Il m’expliquera aussi que cette nostalgie pour les jouets emblématiques est à la fois le souvenir d’une enfance heureuse mais qu’elle peut être également l’expression d’une intense frustration d’un jouet mythique que l’on pas eu dans son enfance et que l’on porte en soi. A un moment, dans la vie, ce désir revient en force et les gens se réapproprient l’objet nostalgique.
L’insight est que pour une génération nativement digitale il y a un prix et une valeur élevée dans la finitude des choses. C’est le premium de la patine, comme dans polaroids, étrangement vieillis dès qu’ils sortent de l’appareil mais qui gardent une étrange présence mélancolique à l’époque des archives digitales de 50.000 photos et du digital hoarding anxiogène.
La « feedification » de la vie sociale implique l’infinitude…Comment peut-on être nostalgique d’un média qui ne s’arrête jamais ? »“
Alexandra Fiorentino-Swinton
La hard nostalgia est également, un désir de sortir du FOMO, une nostalgie du stable, de l’époque où l’amitié n’était pas fluctuante et les possibilités fixes, pas en optionalité permanente.
C’est la mélancolie d’une époque lointaine, une époque où, avant la TikTokatisation du monde, les objets ou les phénomènes culturels marquaient les ruptures, les liminalités , les générations, le passage à l’âge adulte..
La subtile différence de la période pandémique est que dans l’incertitude généralisée quant à l’avenir, le marketing du passé – nativement émotionnel- est bien plus efficace que le marketing du futur. La Hard Nostalgia vend des silos mémoriels par procuration.
Tout-doit-disparaître
Bien sûr, la Hard Nostalgia est souvent le souvenir synthétique d’un passé “authentique” et largement mythifié. Mais c’est précisément parce qu’une génération prend conscience que TOUT-DOIT -DISPARAÎTRE que les vestiges régressifs du passé prennent une valeur intemporelle. C’est ce qui fait la valeur des icônes de la Hard Nostalgia. Ce sont les reliques précieuses d’un monde qui n’était pas updaté.
In fine, ma fille, Abigaïl me donnera, comme ça, en passant, un autre éclairage de taille sur la génération Z :
“Notre génération est de plus en plus isolée dans des micros-communautés et des cercles de plus en plus restreints de familles ou d’amis. Ces jouets agissent comme des talismans, ils nous permettent de faire des ponts et de communiquer avec les autres communautés.”
Les totems de la hard nostalgia et les madeleines du XXIème siècle sont aussi des bâtons de paroles.
On prétendait que les montres ne servaient plus à rien à l’ère de l’accélération mais notre besoin de marqueurs de temps dans la société liquide subsiste.
Ils répondent à l’appel irrésistible et éternel de la nostalgie : se repérer dans la bouillie des jours.