Le sens du travail déconfiné - Umanz

Le sens du travail déconfiné

Il y avait cet étrange sentiment de pousser des cellules excel comme des wagonnets. Puis est venue cette intense fatigue de constater que les calls sur zoom étaient très artificiels. Que les collègues si distant étaient ce qu’ils ont toujours été…distants.

Pertes de signes, pertes de sens 

Le sens au travail, comme le roi du conte est nu. Dépouillé de ses symboles statutaires et ses signes sociaux : bureaux d’angle, voitures de fonction, assistantes, costumes de prix…Le travail de certains est apparu pour ce qu’il était : vide de sens. Tout d’un coup les compétences artificielles s’effaçaient devant les compétences naturelles.

Pas facile de jouer les importants à distance.

Les premiers temps on s’est fait une raison, on s’est donné l’air occupé en mode « panic coordination » sur Zoom. Mais une question nous trottait dans la tête : est ce vraiment comme ça que je vais passer les 30, 20, 10 prochaines années de la vie ?

Et face aux métiers essentiels si indignifiés avant que savais-je vraiment faire ? Le Covid et sa brutale normalité ont projeté un éclairage cru et cruel sur les bullshits jobs. Quand l’art du powerpoint s’efface devant l’art de faire le pain. Le conseil s’efface aussi rapidement devant le soin.

Les premiers temps on s’est fait une raison, on s’est donné l’air occupé en mode « panic coordination » sur Zoom. Mais une question nous trottait dans la tête : est ce vraiment comme ça que je vais passer les 30, 20, 10 prochaines années de la vie ?

Les vrais héros

Derrière leurs écrans confinés nos enfants ont parfaitement compris qui étaient les vrais héros. Nous n’en étions pas…

« Les autorités britanniques viennent de dresser une liste de ‘professions systémiques pertinentes’ et il comprend une absence notable de consultants et de gestionnaires de fonds d’investissement »

constatait récemment David Graeber, l’auteur de Bullshit Jobs.

Bref, la vague pandémique #nofilter en se retirant a révélé à de nombreux cadres que leur « indispensabilité » réelle était inversement proportionnelle au nombre de zéros de leur fiche de salaire. Ce sourd syndrome de l’imposteur qu’on noyait dans les bons restos et les bon vins prenait sa revanche définitive. Le back office était un usurpateur.


In fine, l’expérience distanciée du travail à rappelé la cruelle vérité du sociologue Dominique Meda :

« Cela nous invite évidemment à faire le test très simple proposé par David Graeber…pour savoir si un métier est utile ou non, imaginez sa disparition et regardez les effets sur la société… »

Tu fais quoi au juste ?

Soudain, on a compris pourquoi on n’arrivait pas à expliquer nos jobs à nos parents. Soudain on s’est aperçu que l’enrichissement de quelques uns ne faisait pas la richesse de la société, encore moins la richesse d’une vie.

“Faut bien croûter” répliquait Antonin dans notre dernier échange sur Slack. Cette âme froide corporate a bien raison. L’orchestre du Titanic avait aussi des familles à nourrir. Après tout, qui peut aujourd’hui se permettre de choisir le grand appel du large Hugolien :

« Et j’aimerais mieux être, ô fourmis des cités,

Tourbe, foule, hommes faux, cœurs morts…

Un arbre dans les bois qu’une âme en vos cohues ! »

Victor Hugo (Ceux qui vivent sont ceux qui luttent)

Mais est-ce une fatalité de constater chaque jour que ses amis sont plus grands que vos petits jobs ?  Que cette sourde menace économique qui touche tout le monde est un triste révélateur des métiers sans sens.

Et si cette brutale perte de sens était une occasion de se poser les questions essentielles qui fondent le sens d’une carrière ?

Et si c’était l’occasion de méditer cette phrase vertigineuse de James Hollis ?

“Dans les nombreuses bifurcations de la vie, nous devons tous nous poser cette question simple et difficile : Est-ce que ce chemin m’agrandit ou me rétrécit ? Nous connaissons presque toujours rapidement  la réponse. Ensuite, l’appel consiste à choisir celui qui agrandit, aussi intimidant que cela puisse être, ou nous vivrons des vies superficielles et fugitives.”

James Hollis