Vincent Barat, Supelec de 32 ans, a fondé en 2010 avec Antoine Aubois et Jocelyn Muret Akoya Consulting, un cabinet spécialisé dans le conseil en stratégie sur les enjeux humains en entreprise.
Il compte aujourd’hui pour clients de grands groupes comme Sanofi, Pfizer, Roche, Suez, Engie, Faurecia, LVMH ou encore L’Oréal.
Interview et décryptage sur les futurs enjeux du travail et des DRH :
Umanz- Quelle est votre vision du futur du travail ?
Vincent Barat : Je ne vais pas vous projeter une vision fantasmée d’un monde dominé par une rente d’état ou peuplée de sociétés fabuleuses à la Elon Musk. Je vois plutôt émerger trois tendances à impacts variables.
La première qu’on nous annonce souvent est la fin du salariat et la montée en puissance de la Gig Economy portée par certaines plateformes. C’est une vision à laquelle je ne crois pas et je constate qu’on s’en éloigne déjà largement. Car d’abord, on voit que de nombreux contrats sont requalifiés en CDI et que les demandes des jeunes indépendants ne se prêtent pas à la précarité et évoluent avec les désirs d’accession à la propriété. En bref, le CDI a encore de beaux jours devant lui.
Cela n’empêche pas les grands groupes d’œuvrer à des contrats hybrides permettant une plus grande autonomisation des salariés comme certaines sociétés cosmétiques qui embauchent des make up artists en boutique à temps partiel leur permettant d’exercer leur talent à l’extérieur tout en restant ambassadeurs de la marque sur un mode accepté et choisi de bénéfice mutuel. Ce nouveau type de relation “Je ne possède pas le salarié et je lui accorde cette disponibilité” change radicalement la vision du talent management.
Le deuxième sujet qui est celui de l’IA et de l’automatisation à destination des professionnels RH m’a fait sourire et révèle à quel point on est passé en deux ans d’un mode super alarmiste à un mode super enthousiaste. La réalité que l’on constate à travers nos études est que la technologie sera beaucoup moins impactante sur le job que sur les tâches.
En apportant rationalisation, contrôle et productivité l’automatisation va libérer certains métiers de tâches ennuyeuses, fastidieuses et répétitives.On passera donc de métiers répétitifs à des métiers augmentés, plus créateurs de valeur.
Le troisième sujet est celui du de l’environnement de travail qui de l’Open Space au Flex Office n’arrête pas de se faire et se défaire. Yahoo a fait par exemple de grands écarts sur la notion de travail à distance. Au-delà des modes, il dépend largement des fonctionnalités, des métiers et évolue de plus en plus vers des solutions modulables et hybrides. Je note aussi que le “tout distanciel” peut générer des échecs et que dans les sociétés il est tout aussi important de créer des moments de rassemblement tout comme il y a des vertus à trouver dans les “unités autonomes”.
Le quatrième sujet, l’expérience collaborateur, est le grand sujet de demain. Sans une symétrie des attentions et un vrai travail sur l’attractivité, l’expérience du candidat et du collaborateur peut générer nombre de frustrations et des irritants méconnus et sous-estimés.
Beaucoup de sociétés se retrouvent aujourd’hui en face de diplômés qui font leur marché. Il est donc important d’aligner les pratiques RH autour des émotions, de l’ambiguïté plaisir/contrainte et des parcours d’expérience en prenant en compte la dimension temporalité tout comme le process de recrutement, la volatilité des talents ou la formation. Il faut aussi considérer que le départ d’un collaborateur n’est pas un départ définitif, aménager des possibilités de retours et travailler le réseau des Alumni.
Umanz- La notion de carrière a-t-elle changé ?
Vincent Barat : Il existe encore de grands groupes industriels qui projettent à long terme les talents et offrent des possibilités historiques d’évolution mais généralement nous constatons que les progressions sont moins linéaires et moins dans la verticalité.
On favorise ainsi de plus en plus la transversalité et le “pas de côté”, souvent en Asie. C’est même devenu un critère d’avoir connu trois continents pour un patron de marque. Une expérience qui permet de mieux appréhender la discontinuité pays matures/pays émergents.
On constate enfin que l’horizon de projection se réduit et que généralement les plans de carrière à long terme se réalisent très peu car les entreprises peinent à saisir les projections personnelles de leurs salariés.
Pour pallier ces mutations il faut s’inspirer des entreprises digitales, orientées compétences. Aujourd’hui des solutions existent : des startups comme Clustree, 365Talents ou encore Whoz offrent des technologies permettant de mapper les compétences individuelles ou matcher avec analyse sémantique des postes ouverts et des opportunités de mobilité à l’échelle de l’entreprise tout en décloisonnant RH & Managers.
Umanz- Quelles seront les compétences les plus demandées demain ?
Vincent Barat : Dans le cadre de notre étude sur l’IA, on s’est reposé la question des tâches et compétences. Elle révèle qu’ il y a une dualité forte entre les métiers et les compétences…
On a ainsi identifié 29 compétences fondamentales qui produisent une diversité de jobs infinis. Parmi les compétences identifiées, beaucoup de compétences musculaires ou mécaniques sont amenées à disparaître de même que certaines compétences cognitives comme le calcul.
Les compétences “humaines” comme le relationnel, l’empathie et la créativité demeureront et constituent une “planche de salut” dont la presse grand public se fait abondamment l’écho. Mais à mon sens les compétences les plus demandées de demain seront les compétences STEM (Scientifiques, Techniques, Ingénieriales, Mathématiques). Elles sont en mutation permanente mais ce sont précisément elles qui permettent de créer les tâches automatisables du futur.
Or, aujourd’hui, Il y a une pénurie croissante sur ce marché d’autant plus que l’on se prive de 50% de la ressource et des opportunités constituées par les femmes, encore minoritaires dans les fonctions STEM.
Umanz- Quels sont les sujets stratégiques à prendre en compte pour les DRH en 2019 ?
Vincent Barat : Le sujet qui nous tient à coeur c’est le Strategic Workforce Planning qui permet aux DRH de coller aux évolutions de marché ainsi qu’aux nouveaux usages et aux changements technologiques.
Il suffit par exemple de constater l’impact RH du Retail tech initié par Alibaba et Amazon sur les jobs dans la grande distribution. Dans le retail, on assiste ainsi à la disparition de mono-compétences et mais aussi des possibilités de montées en gamme individuelles autour des notions de conseil (bricolage, cosmétique), de services et des nouveaux choix offerts par les modes “sans caisse”.
En bref tous les jobs ne disparaîtront pas mais il faut dès aujourd’hui planifier les évolutions d’effectifs, anticiper les compétences et travailler l’expérience collaborateur de demain.
Pour aller plus loin lire l’étude d’Akoya consulting : « Intelligence artificielle : vers des métiers plus humains ».