Plus nos vies sont réglées et rythmées numériquement plus nous ressemblons aux obèses de Wall E, plus nous avons besoin d’inutile.
De même que la gratuité, l’inutilité a déserté nos vies de consommateurs et d’homo economicus sur-sollicités.
Le triomphe de l’utile est secondaire
La première leçon de l’inutile est que notre passion permanente de l’utile nous presse à mener des vies inessentielles. C’est ce paradoxe de l’utile qu’exprime Sylvain Tessson
“Qu’est ce que le progrès technique ? C’est le progrès en nous de la certitude que nous avons crucialement besoin de choses inutiles. »
Sylvain Tesson
Un recul et un pas de côté qui fait écho à la réflexion de Lovecraft :
“Nous ne mesurons plus les hommes comme les êtres humains, mais comme les pièces efficaces d’une vaste machine mathématique sans autre but ni raison que l’accroissement de la précision et de la rentabilité de ses propres mouvements inutiles et stériles”.
H.P Lovecraft
Se souvenir de l’inutile
Or se rappeler à l’inutile, s’autoriser même quelques instants d’être tout simplement inutile, c’est aussi se souvenir que l’inutile est indispensable car c’est aussi le propre de la pensée.
“La pensée est mince, faible, inutile, une traînée brumeuse comme la Voie lactée.
Tandis que le monde est matériel, est étendu, est effrayant, est véritable comme la paroi de l’enfer.
La pensée sourit parce que peut-être elle va mourir.”
Pierre-Jean Jouve
Sortir des espaces scénarisés
L’inutile revient dans nos vie lorsque l’on sait pratiquer l’art perdu de ne rien faire comme nous y invite Jenny Odell . Elle qui réinvente le #nomo : “necessity of missing out” , cet appel sourd à sortir des espaces commerciaux et digitaux.
C’est une inspiration salvatrice à ouvrir le temps en dehors des ces “scripted spaces”, ces espaces scénarisés.
Elle fait écho à la méditation de Walt Whitman, cet appel à stopper le temps et convoquer l’âme :
« Je paresse et invite mon âme »
Walt Whitman
Le temps inutile est indispensable
Peut être faudra t-il se souvenir enfin que l’inutile élève et densifie le temps et le rétablit dans nos vies agitées comme le rappelle Ionesco.
Se rappeler, toujours, que le souci permanent de l’utile accable :
« Regardez les gens courir affairés, dans les rues. Ils ne regardent ni à droite, ni à gauche, l’air préoccupé, les yeux fixés à terre, comme des chiens. Ils foncent tout droit, mais toujours sans regarder devant eux, car il font le trajet, connu à l’avance, machinalement. Dans toutes les grandes villes du monde c’est pareil. L’homme moderne, universel, c’est l’homme pressé, il n’a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu’une chose puisse ne pas être utile; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c’est l’utile qui peut être un poids inutile, accablant.
Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art; et un pays où l’on ne comprend pas l’art est un pays d’esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit; où il n’y a pas l’humour, où il n’y a pas le rire, il y a la colère et la haine.”
Eugène Ionesco
Il nous rappelle enfin cette éternelle leçon de vie : les “instants d’or pur du torrent de la vie” dont parle George Elliot ne sont jamais des moments habités par l’utile.
En bref, que l’inutile est essentiel.