Petit Bambou : les secrets d'un Slow Success - Umanz

Petit Bambou : les secrets d’un Slow Success

L’équipe Petit Bambou

En moins de Huit ans, discrètement, délicatement, sans capital et sans bruit excessif, Petit Bambou la célèbre App Française de méditation tisse un succès patient en France et à l’international.

La recette de la société mère de Petit Bambou, Feel Very Bien (ça ne s’invente pas) est un peu celle de l’anti-startup et vous ne la trouverez pas dans les manuels de marketing ni dans les slides de consultants. En tout cas, pas encore.

Umanz est allé à la rencontre de ses fondateurs pour découvrir l’ingrédient secret de Petit-Bambou.

C’est l’histoire de deux mecs avec une intention

Ludovic Dujardin et Benjamin Blasco, les deux fondateurs de Petit Bambou

Petit-Bambou, au départ, c’est une page Facebook conçue en décembre 2010 par Ludovic Dujardin, Ingénieur électronique et serial entrepreneur formé à l’ISEN de Lille. Grâce à une combinaison habile de posts positifs et de jeux viraux, Ludovic à très vite monté la page à 1 million d’abonnés. “Je revenais des Etats-Unis et j’ai trouvé les Français déprimés, j’avais envie de redonner le sourire aux gens.” 

Et cette source de positif va donner des idées à Benjamin Blasco, X-Télécom, qui décide totalement par hasard, un soir de pic de stress, d’essayer la méditation après s’être vu interagir avec pas moins de 3 écrans en face de lui et constaté “son incapacité à être vraiment là”.

Avec l’aide précieuse d’un ami, Laurent Cerveau, alors n°2 technique chez Apple, les deux amis décident donc de créer une app de méditation à partir de la communauté de Ludovic. Le coup de crayon génial de Nicolas Jumel, le petit moine,  lui donnera son identité visuelle distinctive. 

L’app verra le jour en Janvier 2015 sur iOS, la version Android, la version Android viendra 8 mois après. 

Pourquoi une app et pourquoi le smartphone ? “Nous voulions aller chercher les gens là où les gens sont…prendre les gens dans leur époque et dans leur temps. Explorer aussi les possibilités de démocratisation de la technologie, donner la chance à chacun d’avoir un Christophe André dans sa poche.” explique Benjamin. 

“On voulait créer une app au ton sincère, simple, pas supérieur. Avec des voix qui parlent à notre enfant intérieur” nous confie Ludovic Dujardin.“On ne crée pas une communauté à partir d’une ambition mais à partir d’une intention”.

La surprise, c’est que des 1 million d’abonnés Facebook, seuls quelques milliers viendront sur l’app. Qu’à cela ne tienne, la presse séduite par l’aventure fera le reste et Petit-Bambou bénéficiera d’une croissance organique, naturelle et rapide sur les Appstores. Leur business model ; des abonnements à 3, 6, mois, 1an ou à vie après 8 séances gratuites. Dès fin 2016, Petit Bambou compte plus d’1 million d’utilisateurs. Aujourd’hui l’app en compte 8,8 millions.

La croissance : organique et naturelle

N’allez pas chercher une histoire de whales, d’analytics, de cohortes, de tests multivariés ou de paniers moyens. Chez Petit Bambou on rejette calmement mais fermement les mantras du growth hacking, de la data et de l’hypercroissance synthétique. 

”Nous avons été profitables dès le début” plaide Ludovic Dujardin. Le duo se félicite à posteriori de n’être pas parvenu à convaincre les 12 VC de la place parisienne au début de l’aventure. Les deux fondateurs expliqueront qu’ils avaient refusé de jouer le jeu de l’Unicornisation et que leurs interlocuteurs, exclusivement masculins à l’époque, avaient, à vrai dire, un peu de mal à comprendre cette activité à 66% féminine. “Il y avait comme un petit a priori sur la méditation” confiera pudiquement Ludovic.

Ne pas artificialiser la croissance est une obsession chez les deux fondateurs à tel point que jamais chez Petit Bambou on ne retiendra  pas avec une réduction alléchante un abonné qui abandonne l’app . Pour Ludovic Dujardin ce n’est tout simplement pas la philosophie de l’application. “No Fucking Discount” explique t-il, “Si les gens veulent partir c’est qu’ils veulent partir”. 

De même chez Petit Bambou, on ne poussera jamais un partenariat qui ne prend pas. “On travaille avec les gens qu’on aime et avec qui les choses se font naturellement, si quelque chose ne se fait pas c’est peut être qu’elle ne devait pas exister”  souligne Benjamin Blasco.

Merveilleusement dissemblables et étonnamment complémentaires les deux fondateurs, amis de longue date, se rejoignent ainsi sur la mission de la société de “créer un merveilleux quotidien dans la joie”. Ludovic le CTO du duo est un amateur de Hard Rock à la franchise et la spontanéité contagieuses. Benjamin, le financier est un rationnel éclairé, vacciné des environnements anglo-saxons à forte intensité de KPI et attiré par le sens.

A deux, ils ont impulsé une culture unique qui transpire dans le management, le produit et le contenu de Petit Bambou.

“Pousser sans pousser” : la culture petit bambou 

Car c’est dans la culture que l’on voit se dessiner la différence Petit Bambou. Et c’est à ce stade qu’il faut dire un mot de la concurrence : le pionnier Headspace et le leader du secteur Calm revendiquent respectivement 80 et 100 millions d’abonnés. Et ce ne sont ni des enfants de cœur, ni des pieds tendres. L’un des co-fondateurs de Calm est Michael Acton Smith le créateur de la million dollar page et Headspace n’hésite pas à attaquer des concurrents en justice pour violation de copyright .  Sur le front du capital risque, le match est inégal : Headspace a déja levé près de 216 millions de dollars et Calm, aujourd’hui valorisé à 2 milliards de dollars, a levé 218 millions. Tous surfent sur une pratique en plein boom dont le besoin est devenu aussi évident que le sport au début du siècle après la sédentarisation, comme me l’expliquera Ludovic.

 

 

Calm, n°1 mondial, revendique haut et fort sa stratégie Data & Celebrity. Quand il lance ses sleep stories c’est avec Matthew McConaughey et LeBron James. Headspace, lui s’exporte sur Netflix et utilise son charismatique fondateur Andy Puddycombe (ex moine boudhiste formé aux arts du cirque)  comme tête de gondole Ted

Petit Bambou, de son côté, préfère augmenter sa longtail de contenu local. L’app mise sur la qualité intrinsèque des méditations et fait appel à des méditants expérimentés, des voix reconnues de la méditation guidée comme Christophe André et des spécialistes certifiés de MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction) pour ses contenus thématiques dédiés au sommeil, à l’anxiété ou à la sexualité. L’app enracine sa différence avec les animations délicates de Marie Renaud et la création de modules originaux comme la “Crise de Calme” inspirée par le chercheur Charly Cunji. 

L’autre différence culturelle que Petit Bambou exporte dans les autres pays où il a pris racine (Allemagne, Espagne, Pay-Bas et Angleterre et Italie) c’est l’attention artisanale et patiente à la qualité du produit qui se reflète également dans les développements informatiques.  “Je ne donne pas de délai, je préfère bien faire les choses.” précise Ludovic. 

Une différence culturelle que l’on retrouve aussi dans le marketing avec un mantra “ne pas forcer la notoriété ». Ils ont ainsi mis deux ans, à leur corps défendant, à se résoudre à l’acquisition payante d’utilisateur dominée par Facebook. “On n’avait pas le choix” précise Benjamin. La concurrence, encore une fois, prend moins de gants, comme en témoigne Calm, plus gros dépensier sur l’Appstore iOS de la catégorie Health & Fitness. En n’hésitant pas à enrôler Eva Green, Calm est en effet devenu un spécialiste des messages publicitaires séquencés (300 créas) et du retargeting sur facebook. Et ce, tout particulièrement à destination des utilisateurs iOS – qui représentent 84% des profits générés par l’application de méditation. La société de Michael Acton Smith professe une vision chirurgicale de ses leviers d’acquisitions, du parcours d’achat et de la lifetime value de ses utilisateurs.

Il faut dire que le fameux « Churn » ,la défection d’abonnés, dans ce type d’app est une constante du business. D’après nos calculs, Headspace ne conserverait que 7,65% de ses abonnés sur un an et Calm, 8,34%.

La bataille du méditant mobile est donc féroce : il coûterait environ 41 dollars à acquérir (37,3 euros). Il en rapporterait 84 (76,5 Euros).

Le fracas du business des Apps semble lointain chez Petit Bambou. Il y a un tout autre son de cloche. Authenticité, simplicité et humanité sont des valeurs centrales chez Feel Very bien. Dans leurs deux bureaux de Lille (Technique) et du Luxembourg (Finance, International, marketing et Bizdev), les équipes de Petit Bambou préservent une culture de quiétude incarnée et de légèreté. Chaque journée commence par des conversations ouvertes de trois quarts d’heure et pendant les séminaires annuels, on ne travaille pas, jamais. On s’amuse et on chante à tue-tête dans les Karaokés. Quand les deux fondateurs se parlent en visio c’est une heure par semaine, et sans agenda. 

Petit Bambou ne communique pas sur son chiffre d’affaires. Chaque fois que je tenterais de ramener la conversation sur les chiffres et la data, Benjamin, comme un Yoda patient et légèrement amusé me ramènera à la case départ, le sujet de l’intention. A ce propos, n’allez pas chercher de posters au mur ni de slogans en néon, chez Petit Bambou la culture n’est ni écrite ni affichée, elle tient aux gens et à la magie particulière qui les lient : l’énergie joyeuse. 

Chez Petit Bambou, il n’y a pas de micro-management :  “nos équipes sont constituées de personnalités qui ont souvent intégré et dépassé les modèles anglo-saxons. nous sommes avant tout des artisans” explique Benjamin qui confiera que son activité lui a permis de nourrir son sens au quotidien et développer un domaine de sensibilité et de subtilité plus large que dans le passé.

Chez Feel Very Bien, on ne procède qu’à un ou deux recrutements par an. “Si je perd mes trois lead tech, j’ai plus rien” ajoute Ludovic, ils font la réussite de petit bambou.”  Dans les bureaux de Petit Bambou, tout fait sens. Leur serveur qui veille à réguler les pics massifs de scalabilité du matin et du soir s’appelle Jung.

Ah, j’allais oublier, ils n’ont pas d’OKR.

Le Futur de Petit Bambou

Le marché de la méditation est vaste et estimé à 500 millions de personnes avec une croissance de 12% par an depuis 2012. Data Bridge estime la taille du marché à 9 milliards de dollars en 2027 et les marché du mental fitness et du Wellness sont encore plus larges.

Comment Petit Bambou voit son avenir dans un tel environnement ? D’un côté ils affrontent deux mastodontes de la méditation engagés sans répit dans la course au scale et à l’hypercroissance. De l’autre, ils résistent aux 5000 apps de méditations lancées sur les AppsStores depuis 2015. 

Calm, qui vient de racheter Ripple Health après un investissement dans Express Spa ne cache pas ses ambitions “hors les apps”.

“Nous aimerions beaucoup faire des hôtels Calm » […] « Notre véritable ambition est d’acheter à terme une île et de créer Calm Island, la station la plus relaxante du monde ». avance Michael Acton Smith, Co-founder de Calm.

Headspace de son côté, animé par son commercial n°1, Andy Puddicombe, poursuit la consolidation horizontale du wellness avec le rachat successif de Sayana (Wellness), Ginger (Santé Mentale) ou encore Alpine.AI (Assistants audio ). 

Les deux fondateurs de Petit Bambou souhaitent avant tout protéger le sens, la croissance sans phosphate et le petit miracle qu’ils ont créé. Ils savent d’instinct, comme Tom Peters, que “La culture mange la stratégie au petit déjeuner”. Il savent aussi que s’il l’on peut émuler une stratégie marketing, une culture, elle, reste inimitable.

Dans les Apps au contenu dit “Evergreen”, une art secret mais fondamental tient à la création d’habitudes, de rituels. Là où les concurrents Anglo-Saxons pilotent à la data et aux notifications, les équipes de Feel Very Bien préfèrent soigner et varier les contenus pour créer encore une fois, naturellement, une habitude saine. “C’est aussi une question d’éthique et nous pensons que l’éthique dans l’utilisation de la data est aussi une question fondamentale de l’évolution des consciences. C’est comme cela qu’on veut être connus, c’est comme cela que nous faisons une différence sur le marché.” plaide Ludovic.

Les illustrations de Marie Renaud pour l’app petit Bambou

A l’avenir, Petit Bambou souhaite avant tout préserver la qualité intrinsèque de ses programmes et de ses intervenants. L’app élargit son audience au moyen de cartes cadeaux Fnac et Cultura vendus aux rayons développement personnel. L’entreprise va également à la rencontre d’autres populations à travers les associations de prisonniers et de toxicomanes. Son but : étendre la gamme de soins vers les équilibres physiques et mentaux et renforcer la prévention primaire et secondaire de la santé mentale. 

In fine, c’est peut-être cela la grande leçon de Petit Bambou, elle est cachée mais visible aux yeux de tous dans l’une de leurs animations, une petite parabole sur un bambou qui, au départ avait du mal à pousser avant de donner naissance à une magnifique tige : “son système complexe de racines grandissant lui permet de construire sa croissance future.” nous dit l’histoire. 

Elle ne fait que commencer.