Va-t-on un jour enseigner l’ignorance critique à l’école ? C’est pourtant ce que conseillent plusieurs chercheurs face à la surabondance d’information digitale.
“Les informations de mauvaise qualité et trompeuses en ligne peuvent détourner l’attention des gens, souvent en suscitant la curiosité, l’indignation ou la colère. Pour résister à certains types d’informations et d’acteurs en ligne, les gens doivent adopter de nouvelles habitudes mentales qui les aident à ne pas être tentés par des contenus qui attirent l’attention et qui sont potentiellement nuisibles.” plaident Anastasia Kozyreva du Max Planck Institute, Sam Wineburg de l’Université de Stanford et Stephan Lewandowsky de l’Université de Bristol qui recommandent cette nouvelle compétence critique dans un rapport de recherche publié récemment.
Parmi les techniques d’Ignorance Critique. Ils évoquent le “Self Nudging” qui consiste à bannir définitivement certaines sources ou applications de son environnement digital immédiat ou de limiter son temps de social media (dans une étude de 2020 les personnes encouragées à désinstaller Facebook pendant un mois avaient regagné en moyenne 1 heure de temps libre par jour) la lecture latérale (lateral reading) qui consiste à aller vérifier la crédibilité d’une source consultée online ou encore d’appliquer l’habitude de ne pas “nourrir les trolls” en les ignorant purement et simplement. La désormais célèbre heuristique “Do not feed the trolls” contient deux régles simples : “Premièrement, ne répondez pas directement aux trolls ; ne les corrigez pas, n’engagez pas de débat, ne ripostez pas et ne trollez pas en réponse. Deuxièmement, bloquez plutôt les trolls et signalez-les à la plateforme.”
A l’appui de leur thèse, Ils invoquent les travaux de William James pour qui “La fonction d’ignorance, d’inattention, est un facteur aussi vital pour le progrès mental que la fonction d’attention elle-même.” et s’opposent à l’utilité de la pensée critique face à la désinformation délibérée :
“Investir des efforts et un esprit critique conscient dans des sources qui auraient dû être ignorées en premier lieu signifie que l’attention a déjà été expropriée.”
En bref, nos ressources attentionnelles et cognitives étant limitées, nous devrions désormais faire l’acte volontaire de choisir quoi ignorer.
Les auteurs sont manifestement au courant des tactiques digitales les plus pernicieuses telles que le flooding, le trolling, le Jaqing, and le sealioning et de l’immense perte de temps qu’elles génèrent, sans parler de la médiocrité générale des trolls professionnels. En ce sens l’Ignorance Critique a vocation à devenir, au XXIème siècle, un élément indispensable de l’écologie décisionnelle.
“Les environnements numériques posent de nouveaux défis à la cognition et à l’attention des gens. Les gens doivent donc développer de nouvelles habitudes mentales, ou réoutiller celles qu’ils ont acquises dans d’autres domaines, pour empêcher les marchands d’informations de mauvaise qualité de détourner leurs ressources cognitives.” avancent les auteurs, d’où le nécessaire recours à l’ignorance délibérée.
J’ai pour ma part, une technique différente pour m’éloigner un temps de la toxicité des news et de l’avalanche informationnelle. Je me branche un mois sur l’actualité d’un pays que je ne connais pas sur Google News, cela me permet à la fois de découvrir des insights inédits sur d’autres parties du globe et d’atténuer le bruit constant de l’hystérie politique nationale.
Paradoxalement, et c’est la conclusion des chercheurs, l’ignorance critique réclame une certaine…connaissance. Celle des sources fiables et des environnement sains. Il est vrai que chaque jour nous croisons de nouvelles cohortes qui ne savent plus quoi ignorer, ni même comment… “Afin de savoir ce qu’il faut ignorer, une personne doit d’abord comprendre et détecter les signes avant-coureurs d’un faible niveau de crédibilité.” concluent-ils.
L’ignorance critique est donc aussi une ignorance éduquée et une connaissances des filtres. Elle rejoint par un chemin étrange l’intuition d’Arthur Schopenhauer d’il y a un siècle sur l’art de ne pas lire certaines informations.
À l’époque, c’était un luxe. Aujourd’hui c’est un impératif.