Soyez des créateurs pas des créatures - Umanz

Soyez des créateurs pas des créatures

C’est l’une de ces phrases talismans. Ce genre de phrases que l’on ressort en permanence de leur coffret et qui ne semblent jamais s’user.

Avec le recul, je ne me souviens plus qui a prononcé cette phrase était-ce une psy dense et profonde croisée à 30 ans ? Ou ma marraine, une dame de haute l’élégance au verbe précis et définitif et d’une distinction d’un autre siècle ?

Elle disait ceci : « Soyez des créateurs pas des créatures. » 

Cette phrase me colle à la peau et ne m’a jamais quitté. C’est l’un des premiers principes de vie que j’ai proposé à mes enfants et c’est surtout l’un des meilleurs outils de résistance à l’invasion universelle de la consommation passive.

C’est une injonction puissante dont on retrouve des échos tout au long d’une vie. 

Paul Graham, célèbre VC et co-fondateur de YCombinator avec Sam Altman distingue de son côté deux notions celle de producteur et de consommateur qui rejoignent et explorent parfaitement le dilemme créateur/créature. Voici ce qu’il en dit

« Une façon de savoir si vous perdez du temps est de vous demander si vous produisez ou si vous consommez. Écrire des jeux vidéo est moins susceptible d’être une perte de temps que d’y jouer, et jouer à des jeux où l’on crée quelque chose est moins susceptible d’être une perte de temps que de jouer à des jeux où l’on ne crée rien. »

Et c’est une distinction profonde. Les réseaux sociaux ont mis un chiffre sur une triste vérité les créateurs seraient une minorité. 90 à 99% des gens seraient des lurkers ou spectateurs passifs.

Les créateurs seraient donc une minorité.

C’est donc aux créateurs que cette phrase talisman s’adresse à cette petite minorité que décrivait Alan Watts en parlant de l’urgence d’écrire : 

« Un conseil ? Je n’ai pas de conseil arrête d’espérer et écris. Si tu écris, tu es un écrivain.

Écris comme si tu étais un putain de prisonnier dans le couloir de la mort, que le gouverneur est en voyage hors du pays et qu’il y a zéro chance d’être gracié.

Écris comme si tu étais suspendu au dessus d’un précipice, les jointures blanches, à bout de souffle et qu’il ne te restait qu’une chose à dire.

Comme si tu étais un oiseau qui nous survole et qui peut tout voir et s’il te plait pour l’amour de dieu, dis nous quelque chose qui nous sauvera de nous mêmes.

Prends une respiration profonde et dis nous ton plus profond, ton plus sombre secret, pour nous ouvrir les yeux et que l’on comprenne que nous ne sommes pas seuls.

Écris comme si tu avais un message du roi.

Ou n’écris pas, peut être qui sait, tu fais partie des chanceux qui n’ont pas à le faire.»

Cette intense satisfaction et cette urgence de créer, c’est aussi ce dont nous parle Ethan Hawke on évoquant son arrière grand-mère :

“Mon arrière-grand-mère, Della Hall Walker Green, sur son lit de mort, a écrit cette petite biographie à l’hôpital, et elle ne faisait que 36 pages, et elle a consacré environ cinq pages à la seule fois où elle a fait des costumes pour une pièce de théâtre.

Son premier mari n’a eu droit qu’à un paragraphe.

La culture du coton, qu’elle a pratiquée pendant 50 ans, n’est évoquée qu’une fois.

Mais il y a cinq pages sur la réalisation de ces costumes…Et c’est là que je regarde… ma mère m’avait donné un de ses couvre-lits qu’elle avait fait, et vous pouvez le sentir… Elle s’y exprimait, et ça, c’est un pouvoir qui est réel.”

Pour ces rares créateurs, cette recherche d’expression n’est pas un superflu, c’est un impératif, une raison de vivre.

Je tiens pour ma part la création pour l’acte humain de participation au monde par excellence. Un passeport d’intensité.

Car créer s’est se doter d’un levier sur le monde. C’est non seulement savoir l’habiter mais aussi le transformer. C’est utiliser la plus grande capacité humaine à créer de la merveille : l’imagination. C’est refuser la vie plate et étroite. C’est refuser de faire partie de ceux qui mesurent leur vie avec un boulier ou une cuillère à café.

In fine, c’est toujours un espoir et une manière plus intense d’être au monde. 

« Quoi qu’il en soit, pour écrire un livre, accomplir une action, peindre un tableau où il y ait de la vie, on doit soi-même être une personne vivante. »

Vincent Van Gogh

Il y a quelques années, bien avant l’ explosion de l’Intelligence Artificielle générative, Gianpiero Petriglieri, professeur à l’Insead redoutait un monde de machines où toute création ou imagination serait bannies. Il exprimait sa plus grande crainte en ces termes « le problème ne sera pas les machines qui viendront mais les machines que nous deviendront…” 

Un message qui résonne d’autant plus fortement qu’une masse affolante et indigeste de « contenus-au-mètre » s’apprête à envahir nos écrans déjà saturés.

« Créer, c’est vivre deux fois » nous rappelait Camus.

Soyez des créateurs, pas des créatures.

Pour aller plus loin lire « Créativité : les leçons du plus grand producteur de musique.«