« Si un œuf est cassé par une force extérieure, la vie s’arrête. S’il est brisé par une force intérieure, la vie commence. Les grandes choses commencent toujours de l’intérieur. »
Jim Kwik
Je ne sais plus quand j’ai commencé à parler d’intériorité à mes filles, peut-être à la pointe de l’adolescence. Je voulais leur parler des dangers et du vertige du tout extrinsèque.
Je voulais leur dire à quel point vivre dans l’extrinsèque était comme prendre un location dans les yeux des autres. À quel point, il était nécessaire, parfois salvateur d’avoir un espace intérieur, pas simplement un espace à soi mais un espace en soi. De comprendre et sentir qu’il y avait un mode être, bien plus fertile, bien plus profond que le mode avoir et ses miroirs aux alouettes.
Leur dire cette phrase à la fois simple et mystérieuse : il y a autre chose.
Depuis j’ai réuni mes pensées sur l’intériorité, cette étrange capacité spatiale que je retrouve chez les gens longs, une qualité en voie de disparition dans le vacarme algorithmique qui nous dévore les yeux et les oreilles.
Pourquoi les gens intérieurs s’appartiennent-ils plus que les autres ?
Peut-être parce qu’ils veillent à la beauté de l’espace qu’ils occupent. Qu’ils sont de plus en plus conscients de la valeur de ce qui, en nous, échappe chaque jour au viol des machines et à l’extraction de la data.
Peut être aussi parce qu’à un moment de la vie, ce que l’on doit être prend le pas sur ce qu’on doit faire ou avoir.
Les chemins de l’intériorité sont tous différents : lecture, méditation, silence, écriture, vie contemplative, exercices spirituels ou création. On les retrouve dans le Duende espagnol comme dans le Mono Aware Japonais. Mais le secret de l’intériorité est unique : le plus beau des paysages que vous pourrez posséder sera votre paysage intérieur.
Présent dans cet espace, présent à vous même, vous pourrez alors cultiver des pensées à la hauteur de votre âme.
« Ne te quaesiveris extra” nous rappelle Ralph Waldo Emerson : ne te cherche pas en dehors de toi même. La découverte de l’intériorié est une solitude enrichie. Mais une solitude qui est tout sauf un isolement.
C’est le prix à payer pour, petit à petit, développer une conscience de cathédrale et rejoindre comme dirait Bobin, le vaste espace de ceux qui ont “un monde en dedans”.
La question qui suit est : de quels décors, de quels éléments peupler son intériorité ?
Car il faut parfois lutter pour préserver son intériorité. L’intériorité a ses propres guerres, elle s’est souvent pris des murs pour bâtir les siens. Toute intériorité a ses cicatrices. Elle a aussi ses filtres. J’ai pour ma part façonné depuis des années mes propres filtres de sérendipité. Ils me protègent de ceux qui ont un en-dedans atrophié. Des gens dont toute l’attitude mécanique affiche ce triste message :
“Vends, intérieur, jamais servi.”
“C’est par la vie intérieure qu’on est sauvé ou perdu” est l’une des grandes leçons du poète Max Jacob.
Et c’est précisément ça que j’aurais aimé apprendre à mes trois enfants, leur faire don de ce mot. Un mot à forte énergie psychique. Leur dire que cet espace n’empêchera pas les regards mais qu’il les rendra libres des regards. Leur dire que la découverte de cet espace n’est pas un voyage mais un retour, qu’enfants, ils mettaient déjà dans cet espace leurs rêves, leurs secrets, leurs jeux et leurs questions. Que l’intériorité est l’espace où les pensées grandissent. Leur dire aussi que les plus grands amours sont parfois des rencontres rares entre deux intériorités.
Leur confier que souvent l’intériorité – et c’est la leçon des grands mythes- est la réponse à un monde aplati, une alternative aux succès creux et sans saveur. C’est la réponse à la question éternelle que tous les gens de l’intérieur se sont un jour posé : n’y a t-il donc que ça ?
Leur dire aussi que l’intériorité n’est pas un lieu fermé. Un lieu clos situé dans la tête ou sous la peau, mais qu’elle c’est est un mode de relation, une façon d’habiter symboliquement le monde.
Leur dire enfin que depuis toujours, la lutte entre le suksma hindou (le subtil, intérieur, ou spirituel) et le sthula (le grossier, tangible et matériel) est la danse du monde. Et que, oui, partout sur la planète des gens dansent, chantent ou font silence pour retourner en intériorité. Et que seule cette danse intérieure permet de reconnecter notre âme avec la danse infinie des choses.
Leur dire enfin que les voies de cette danse intime sont multiples mais que sa récompense est unique…garder son âme en vie.