Marion Cina, chercheuse-enseignante en Sciences de Gestion à l’ISC, décrypte la question du sens au travail à travers la friction des imaginaires entre les jeunes diplômés et les entreprises.
À l’occasion de son intervention à l’USI, elle a accepté de répondre aux questions de Umanz.
Umanz – Pourquoi l’imaginaire des diplômés bute-t-il sur celui des entreprises ?
Marion Cina : Il y a un double problème. Le premier survient quand l’imaginaire des jeunes diplômés, nourri de modèles inspirants, d’outils d’analyse et d’une intense dextérité mentale liée à leurs études, se trouve en porte-à-faux avec les outils de l’entreprise, où on les oblige à réduire leur pensée à des PowerPoints et des bullet points, déclenchant un ennui rapide et une atrophie de l’imaginaire. Ces outils réducteurs les maintiennent dans des jobs surfaciques.
Le second, c’est qu’ils n’osent pas se mettre en avant ni porter une voix dans l’entreprise. Beaucoup d’entre eux estiment que les entreprises ne vont pas les écouter. Ils n’accèdent pas à un sens plus large, à une portée plus vaste de leurs actions.
Umanz – Comment les entreprises peuvent-elles réveiller l’imaginaire chez ces nouveaux diplômés ?
Marion Cina : Les jeunes diplômés ont parfois du mal à se décentrer de leurs tâches quotidiennes. Il faut donc les intégrer à des discussions plus larges sur les stratégies, le rôle de l’entreprise et ses grands projets.
Les amener à projeter une vraie utilité dans une dimension plus vaste. Le fait de les sortir de leur quotidien pour leur offrir une perspective élargie peut les amener à reconsidérer, voire à faire évoluer leurs tâches.
J’ai noté dans ma pratique que le réveil de l’imaginaire est souvent une négociation entre les jeunes diplômés, leur manager et l’entreprise au sens large. Souvent, il faut sortir des outils numériques et des tâches balisées pour ouvrir des espaces de négociation fertiles. Ce sont ces espaces de conversation qui permettent à l’imaginaire de se réouvrir et de s’exprimer.
Umanz – Comment justement élargir les perspectives ?
Marion Cina : J’ai l’exemple d’une société d’ingénieurs travaillant en open space sur le logiciel Catia, mais en fait très isolés derrière des casques et leurs ordinateurs, qui a réveillé l’imaginaire de ses équipes en créant un incubateur accessible la nuit. Les ingénieurs pouvaient y réveiller leur créativité, en équipe, et dans le mouvement physique, dans un atelier doté d’outils anciens.
Ce décloisonnement temporel et physique a permis de réveiller la prise en main, la manipulation de la matière, et l’imaginaire des participants.
J’ai souvent noté que les outils informatiques et les écrans peuvent éloigner les ingénieurs du réel, et qu’ils ont besoin de retrouver les sens premiers — comme la vue et le toucher — pour retrouver le sens.
Marion Cina est docteure en sciences de gestion et enseignant-chercheur en innovation, créativité et théorie des organisations à l’ISC Paris. Titulaire d’un doctorat en sciences de gestion obtenu au LEST Aix-Marseille Université, elle a soutenu sa thèse en 2022. Ses recherches s’intéressent aux intersections entre management et sciences humaines, et notamment entre management et philosophie, avec pour thématique principale l’imaginaire dans les organisations.