La sérendipité, cet étrange piment de l’existence fait d’heureux hasards, joue un rôle majeur dans nos vies. Mais savez vous que si elle ne peut être ni maîtrisée, ni totalement apprivoisée elle peut néanmoins être filtrée.
La chance favorise les esprits préparés disait Pasteur mais comment organiser ses filtres de sérendipité ?
Voici les quatre éléments qui ont constitué mon propre filtre de sérendipité
Les gens
« Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, et qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. (…) C’est ainsi que je suis votre ami, j’aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours. »
Lettre d’Albert Camus à René Char (17 septembre 1957).
L’une des réalisations vertigineuse et tardives du milieu de vie est que les gens rares sont rares. Or tout concourt à vous empêcher de les rencontrer. La vie est un véritable entonnoir relationnel. Songez qu’à l’âge du mariage vous avez déjà rencontré 80% de vos connaissances, que 85% sont issus de la même classe sociale et 70% de la même classe d’âge. En bref votre capacité à élargir le cercle de vos relations et rencontrer des gens de valeur susceptibles de changer votre destin et d’accélérer la sérendipité diminue considérablement avec l’âge et les occasions.
Quelle est la personne la plus intéressante que vous ayez rencontrée au cours des 90 derniers jours ? Comment puis-je entrer en contact avec elle ? »
-Fred Smith (ex PDG de FEDEX)
Les gens sont donc le premier des filtres de sérendipité. Prenez soin de vos relations, choisissez les attentivement et n’hésitez pas à aller vers les gens qui vous attirent. Il sera toujours plus facile de les aborder pendant vos études qu’à 50 ans. Quoi qu’il en soit, n’hésitez jamais à les contacter directement, même si la culture française est un peu plus cloisonnée que la culture anglo-saxonne, une lettre d’introduction, rare et inspirée, fait toujours son effet.
On dit que Leonard de Vinci aurait inventé le premier CV et la première lettre de candidature elle commençait de la façon suivante :
Tu deviendras comme les cinq personnes que tu fréquentes le plus – cela peut être une bénédiction ou une malédiction. » -Billy Cox
Vous êtes la somme des 5 personnes que vous fréquentez le plus. Vous ne pouvez bien évidemment pas contrôler ce qui vous arrive mais vous pouvez contrôler par qui cela vous arrive et surtout avec qui.
“N’amenez pas dans votre vie des gens qui vous diminuent. Et faites confiance à votre instinct, une bonne relation fait se sentir bien. Juste. Pas blessé.
Michelle Obama
Les lectures
« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. »
Jules Renard
Certaines personnes se flattent de lire 50 livres par an. La vérité est plus prosaïque, les femmes lisent en moyenne 4 livres par an et les hommes, un peu plus de 2. Un lecteur moyen de 40 ans vivant jusqu’à 90 ans n’aura plus que 100 ou 200 livres à lire.
“Ceux qui ne lisent pas de livres n’ont qu’une seule vie, les pauvres : la leur.” disait Umberto Eco. Or, les livres sont d’inépuisables sources d’idées, d’insights et de changements radicaux. Ils constituent peut être le plus vaste, surprenant et fertile champ de rencontres.
Réfléchissez aux sujets qui vous passionnent, aux auteurs que vous ne connaissez pas, aux essais qu’ils vous reste à lire, aux livres cultes que vous n’avez pas encore lus et confrontez-les à votre rythme de lecture.
Quel que soit votre appétit ou votre bande passante, l’exercice est salutaire. Le filtre de lecture est l’un des plus radicaux.
“Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même: mes premières patries ont été les livres.”
Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien.
Les questions
Les questions, surtout les questions ouvertes constituent le plus sûr déclencheur de sérendipité. De nombreuses inventions sont nées d’une question simple. Lors d’un voyage à Santa Fe en 1943, une petite fille demanda à son père Edwin Land : “papa pourquoi faut-il attendre pour avoir la photo”. Cette simple question allait donner naissance à la “chambre noire portative” et à la première photo instantanée en 1948 et en couleur en 1963, le plus grand succès de Polaroid.
A une époque devenue une compétition d’affirmation et de monologues, le penseur Mike Vaughan recommande de ne pas demander aux enfants “qu’à tu appris aujourd’hui” mais plutôt : “quelle question as-tu posée aujourd’hui ?.”
Je vous prie d’être patient à l’égard de tout ce qui dans votre cœur est encore irrésolu, et de tenter d’aimer les questions elles-mêmes comme des pièces closes et comme des livres écrits dans une langue fort étrangère. Ne cherchez pas pour l’instant des réponses, qui ne sauraient vous être données ; car vous ne seriez pas en mesure de les vivre. Or, il s’agit précisément de tout vivre. Vivez maintenant les questions. Peut-être en viendrez-vous à vivre peu à peu, sans vous en rendre compte, un jour lointain, l’entrée dans la réponse.
Rainer Maria Rilke
Les algorithmes
Nos quotidiens sont envahis par les algorithmes et si vous ne les entraînez pas ce seront eux qui vous entraineront. Déjà, sur Twitter, YouTube et LinkedIn la qualité de vos fils est directement fonction de la qualité de vos lectures et des gens que vous fréquentez digitalement.
Comme l’exposait stoïquement Maria Popova il y a quelque temps : «Si on nourrit les gens de buzz on ne peut pas s’attendre à ce que leurs esprits produisent des symphonies.” Les ingrédients de base du filtre de sérendipité sont donc les data alimentent chaque jour votre équation algorithmique et donc…la qualité future de vos nutriments digitaux.
En bref, les boutons que vous cliquez, les personnes que vous swipez sont la société que vous créez et le futur décor de vos vies. « Une fois que l’algorithme t’a mis dans une case il t’y garde » précise le professeur de psychologie Inna Kanevsky à propos de l’algorithme de TikTok dans le Wall Street Journal.
Nous rentrons dans un monde complexe où les algorithmes prendront de plus en plus les décisions à votre place. Comme l’explique l’essayiste digital Neon Mashurov : “nous sommes ce que l’algorithme pense que nous sommes”.
Intéressez-vous à leur modèle, testez-les, éprouvez-les car comme le disait Marc Andreessen : “Il y aura deux catégories de personnes ce qui diront aux ordinateurs quoi faire et ce à qui les ordinateurs diront ce qu’ils doivent faire”.
Si vous le pouvez ouvrez votre propre parcelle digitale en ligne et cultivez là avec soin. Cette parcelle, reflet de votre identité digitale constituera votre meilleure protection contre l’aplatissement algorithmique. Cultivez donc avec soin votre jumeau digital et son jardin. Vous serez plus d’une fois agréablement surpris par la qualité des gens qu’ils attirent. Ces lieux, ce double digital seront les meilleurs filtres de sérendipité dans les metaverses à venir.
In fine, vous ne pourrez jamais industrialiser la surprise et il faut lui laisser la place qu’elle mérite, mais vous pouvez décider si vous préférez qu’elle soit bonne ou mauvaise. Ces quatre filtres de sérendipité sont là pour nous rappeler que dans sa version la plus miraculeuse, la sérendipité est une sagacité.
Ils sont entre vos mains, ne les laissez pas aux machines.
« Une personne cultivée devrait être quelqu’un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées dans le présent comme dans le passé. »
Hannah Arendt
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