Pertinence 2.0, vers des nutriments digitaux - Umanz

Pertinence 2.0, vers des nutriments digitaux

« Les choses qui importent le plus ne doivent pas être à la merci de celles qui importent le moins.»

 Johann Wolfgang Von Goethe

Le péché originel du contenu sur internet n’est pas uniquement la gratuité c’est aussi la popularité et c’est un problème qui vient de loin. Je m’explique.

Tout commence par la difficulté des premiers moteurs sémantiques ou statistiques à faire remonter des contenus pertinents sur le web au milieu des années 1990.

La pertinence non pertinente

À l’époque de nombreux moteurs utilisent une recette simple basée sur la précision :la pertinence sémantique ou statistique de l’article) et le rappel (recall) soit le nombre de sites trouvés. Un système devenu largement inefficace quand les sites remontés par les moteurs prirent l’habitude de doper leur « découverte » en truffant leurs textes de mots clés non pertinents.

Et la popularité devint la pertinence 

C’est là que Larry Page et Sergey Brin font irruption dans le paysage avec Google. Un coup de génie et un court-circuit conceptuel dans le monde des moteurs. Leur système Page Rank devine que le nombre de sites pointant vers un site web lien fait, de facto, la pertinence du site. Une intuition juste à l’époque. Et dans les premières années du web, cette machine à voter fonctionne. La popularité devient synonyme de pertinence.

Facebook avec le like, puis par la suite Instagram et TikTok perfectionneront les Dark Arts de la popularité algorithmique. Avec les effets sur les esprits, la santé mentale et la qualité des contenus que l’on connaît.

Il y a en effet un produit dérivé de la popularité et des Likes et c’est la toxicité. Gary Tan de YCombinator a révélé récemment que pendant un moment, Paul Graham avait fait une expérience sur Hacker News consistant à ne pas prendre en contre les “Downvotes” (ndlr les votes ‘je n’aime pas’) et qu’en l’espace d’un mois seulement Hacker News -pourtant réputé pour la pertinence de ces contenus- était devenu un espace beaucoup plus toxique et méchant.

Aujourd’hui, la plupart des ados et adultes reconnaissent que cette course algorithmique à la popularité est devenue dysfonctionnelle. Et la plupart des acteurs de la Tech s’aperçoivent que le court-circuit conceptuel de l’époque Popularité=Pertinence ne fonctionne plus. 

Le problème de la pertinence est d’autant plus actuel que ChatGPT et ses avatars hallucinent souvent et produisent un contenu “hallucinament faux” venant augmenter et vicier les index des moteurs d’une “fausse popularité” encore plus insidieuse. Une ironie inattendue lorsque l’on sait que le papier fondateur de la nouvelle révolution de l’AI paru en 2017 s’appelait Attention Is All You Need

Retour à la case départ. Il nous faudrait une nouvelle Pertinence. 

Qui à ce jour s’empare de cette question ?

Vers une pertinence 2.0

La question semble agiter une nouvelle génération d’entrepreneurs. Hamish McHenzie, co fondateur de Substack parlait récemment d’algorithme de qualité. Une idée neuve dans le numérique ? Pas si sûr.

Certains nostalgiques du de la simplicité et de l’innocence du Web 1.0 tentent de réhabiliter l’idée forte de « nutriments digitaux » pour pallier au doomscrolling et à la fatigue croissante du divertissement synthétique des formats courts à la TikTok.

Encore faut-il trouver l’algorithme de tri et de découverte susceptible de « donner à voir » ce contenu pertinent et ces nutriments digitaux

Face à la junk food digitale, il existe un public pour cette pertinence 2.0 de même qu’il existe un public pour les livres et la gastronomie. Il ne faut jamais oublier que Wholefood a prospéré dans l’ombre de Walmart et Cojean à l’ombre de McDo. 

Aujourd’hui, le succès de Substack ou de Kessel et l’expérience de Sublime menée par Sari Azout ou celle, hybride, des français de Capsule , l’émergence inattendue du Cozy Web hors des fils algorithmiques et l’intuition d’Amo montrent qu’il existe une demande pour des contenus digitaux digestes et de haute qualité. 

L’idée si pertinente de nutriments digitaux commence à faire son chemin. Le rêve de Deepnews.AI de Frédéric Filloux n’est pas mort, il y a dans la nouvelle génération un appel à sortir de l’infinite Scroll.

Peut-on revenir de l’ère des scrollers à celles des navigateurs ? L’effondrement contextuel est-il une fatalité ? Peut-on substituer à l’abondance synthétique, la rareté de la pertinence. Enfin, il y aura t-il un jour un tableau des éléments des nutriments digitaux

Je reste persuadé que la pertinence 2.0 peut devenir une thèse d’investissement, ce qui suppose d’inventer des business models hors audience et donc hors pub, décorrélés de la popularité et récompensant le Slow Content

Quelques Startups comme Neeva de l’ex Google Sridhar Ramaswamy ont ouvert la voie, le mystérieux Legend.xyz semble prêt à prendre le relais ou peut-être s’agira-t-il d’une version plus avancée de Perplexity AI. Peut-être qu’une fusion opportune avec des technologies de détection de Fake news (First Draft, NewsGuard, Cyabra ou Factmata) permettra à la pertinence et au web de retrouver leurs lettres de noblesse. Le sujet est d’actualité, même Google et OpenAI travaillent main dans la main sur FreshLLM sur les notions de précision et de plausibilité.

Au vu des dérives de l’ère de la “popularité-comme-pertinence” et de ses effets sur la santé mentale et la vie citoyenne, la quête d’une pertinence 2.0 serait presque une œuvre de salubrité publique.

Le marché n’est peut-être pas aussi vaste que celui des contenus aux mètre qui nous attendent. Mais à l’époque du Swipe Left rien de nouveau il existe un public pour la qualité et le discernement premium. Et dans ce renversement des valeurs, cette demande émergente, la place technologique des nouveaux Google, Meta ou Twitter de la pertinence reste à prendre.

Je rêve d’un monde où les objets technologiques vous donneraient non pas le pire de ce que vous demandez mais le meilleur de ce vous pourriez demander.

La pertinence 2.0 est encore devant nous.

Patrick Kervern