Comme vous le savez, j’ai une petite obsession pour l’amitié. L’un des plus longs essais sur Umanz porte sur ce sentiment rare et profond.
Récemment, un phénomène a pris de l’ampleur autour de moi, un phénomène qui n’a pas de nom dans la langue française.
Est-ce une nostalgie post-pandémique ? Un refuge face aux incertitudes aiguës de l’époque ou un besoin urgent né de la crise de sens ? De nombreuses personnes se sont mises à reprendre contact avec moi après des années d’absence, d’oubli ou de distance assumée.
Un distant besoin de proximité
Ce phénomène de rencontre après l’absence, d’étrange et surprenant besoin de se revoir je l’ai nommé : réencontre. Car avant qu’il y ait retrouvailles, il faut qu’il y ait réencontre. Et toutes les réencontres ne mènent pas à des retrouvailles.
Je voulais ensuite partager avec vous l’étrangeté, la délicatesse, la chaleur et parfois la maladresse de ces moments. Car oui, pendant les réencontres on parle à une personne que l’on a perdue de vue, volontairement et involontairement il y a quelques années.
Dans ces rendez-vous autant anticipés que redoutés, il y a des fantômes et parfois de longs anges qui passent et qui semblent dire : “pourquoi n’as tu pas donné de nouvelles ? ou encore “étais-je assez bien pour toi ?”
Les réencontres ouvrent des terrains accidentés et des questions insondables : peut-on étreindre un passé révolu ? Et qu’en reste t-il ?
Pourtant, les personnes réencontrées qui évoluent souvent à la frontière poreuse de nos deuxièmes et troisièmes cercles sont toujours restées étrangement présentes dans nos mémoires. Il m’est même arrivé de penser que ces gens portaient en eux des fragments brillants de nostalgies, d’époques bénies de notre jeunesse ou de notre vie professionnelle.
Des morceaux de nous-mêmes que nous refusons d’abandonner.
Une nostalgie technicolor
Une fois, j’ai fait une de ces rencontres improbables dans un grand magasin, le gars peut être le plus populaire et incroyablement drôle de ma classe de quatrième est venu spontanément vers moi, m’appelant par mon prénom, et me remémorant toute une époque que j’avais oubliée. L’acuité et la précision de ses souvenirs, de mes parents, de qui j’étais à l’époque m’ont fait comprendre à quel point il savourait la nostalgie de ce temps et prenait plaisir à la vivacité que cette réencontre faisait renaître sous nos yeux.
Bien sûr, toutes les réencontres ne fonctionneront pas, parfois elles sont un cruel témoignage du temps qui passe, qui éloigne et sépare. Parfois elle ne font que confirmer une conclusion inavouable. Le triste constat qu’après une série de quelques et toi ? et toi ? Nous n’avons plus rien à nous dire.
Mais parfois les réencontres sont magiques, comme si l’on rassemblait deux pièces d’un puzzle. Les conversations reprennent comme si elles n’avaient jamais cessé avec la même ferveur et la même innocence. Parfois même, elles parviennent à déclencher les mêmes rires purs, ceux d’il y a 20 ans.
Des rires aux sonorités oubliées.
Dans ces instant d’irruption de la merveille, nous réhabitons nos rêves, nos joies, nos corps, nos espoirs sans mélange et oui…nos naïvetés. Autant de discussions enfumées, de réinvention du monde au fond de chambres de pensionnat, de promesses de l’aube échangées entre personnes accrochées au rêve fou qu’il nous faudrait beaucoup de talent pour être vieux sans être adultes.
Ces instants fugaces que l’on tente de ranimer comme de fragiles braises nous posent une question vertigineuse : avons nous été à la hauteur de ces rires, de ces espoirs, de ces enfants que nous fûmes ?
Parfois, perclus d’estrangement par notre quotidien, nous aurons une envie folle de réencontres. Peut-être parce qu’entre temps nous aurons réellement perdu quelqu’un. Peut-être qu’une personne manque définitivement dans notre paysage et que la fuite du temps révèle chaque jour son absence, son trou dans nos vies.
Mais la beauté des réencontres tient à leur fragilité. Si les scènes cultes de réencontres ont un si grand impact sur nous c’est qu’elles constituent une méditation puissante du temps qui passe, de ce que nous avons perdu, ce que nous avons gagné et ce que nous avons abandonné de nous mêmes à travers d’autres personnes.
Ces fragments de nous-mêmes que nous avions omis -volontairement ou involontairement- de reconstituer.
Elles sont également un rappel salutaire de cette leçon éternelle : on devient soi par l’autre.
Et vous, qui allez vous réencontrer aujourd’hui ?