On a dû te dire qu’il fallait réussir dans la vie; moi je te dis qu’il faut vivre, c’est la plus grande réussite du monde. On t’a dit: « Avec ce que tu sais, tu gagneras de l’argent. » Moi je te dis: « Avec ce que tu sais tu gagneras des joies. » C’est beaucoup mieux. Tout le monde se rue sur l’argent. Il n’y a plus de place au tas des batailleurs. De temps en temps un d’eux sort de la mêlée, blême, titubant, sentant déjà le cadavre, le regard pareil à la froide clarté de la lune, les mains pleines d’or mais n’ayant plus force et qualité pour vivre; et la vie le rejette. Du côté des joies, nul ne se presse; elles sont libres dans le monde, seules à mener leurs jeux féériques sur l’asphodèle et le serpolet des clairières solitaires.
Jean Giono (Les vraies richesses)