Thomas d’Ansembourg : “le sens c’est prendre soin et apporter sa contribution au monde” - Umanz

Thomas d’Ansembourg : “le sens c’est prendre soin et apporter sa contribution au monde”

Le psychothérapeute Thomas d’Ansembourg fête les 20 ans de “Cessez d’être gentil soyez vrai”  et revient en librairie avec “notre façon d’être adulte fait-elle sens et envie pour les jeunes”  un ouvrage profond et nuancé sur l’estime de soi, l’âge adulte, nos enfants, l’éducation et le sens.

De passage à Paris, il a accordé une interview à Umanz.

 

Umanz- Comment échapper aujourd’hui à ce que vous appelez le “prêt à ne pas penser” et l’explosion de ce que vous nommez les “gadgets ludico-compensatoires” ?

Thomas d’Ansembourg : On peut s’interroger en premier lieu sur ce qui nous a amené à cela. Une éducation qui nous tire hors de nous. Des postures, des rythmes, des programmes que nous n’avons pas choisis au lieu d’accéder à notre intériorité.

Nous sommes archi-dépendants de l’extérieur, grisés par les passions du moment, prisonniers du regard de l’autre, de la critique, très fragiles aux effets de modes et de masse. Cela appelle à une véritable révolution du monde éducatif pour accompagner les enfants à devenir ce qu’ils sont.

Les questions essentielles sont de savoir qui nous sommes ? quels sont nos talents ? nos énergies, nos sensibilités ? Et comment les mettre au monde, au service de la vie communautaire.

Umanz-  Dans votre livre vous évoquez divers paliers de discernement, quels ont été ces paliers pour vous ?

Thomas d’Ansembourg : J’invite dans mon travail à trouver notre fil rouge intérieur et, petit à petit, apprendre à suivre ce fil rouge pour accéder à des paliers de discernement de plus en plus élevés. Ces paliers consistent à d’abord se dégager de notre ego. Puis de l’emprise de l’ego des autres sur nous. De pouvoir observer les circonstances de la vie sans être chahuté par elles. De pouvoir tourner les pages à temps lorsque l’heure est venue.  Savoir également anticiper les changements nécessaires. 

C’est vraiment cette idée de développer une intériorité citoyenne, une sorte de creuset de ce qui fait sens, d’espace fécond qui permet à notre boussole intérieure souvent coincée dans nos croyances et habitudes de retrouver sa flottaison et donc son orientation.

Umanz- Dans une époque saturée d’action et d’accélération vous dites : “Il est grand temps de quitter l’âge du faire et d’apprendre à être.” Qu’entendez vous par là ?

Thomas d’Ansembourg :  Pour répondre à cette question, je peux vous partager à quel point dans la trentaine, j’étais divisé voire éparpillé entre ce que je sentais, ce que je disais et ce que je faisais. Mon énergie était dispersée à tenter de rassembler ces morceaux sans vraiment savoir comment faire. 

Puis, en m’intéressant de plus en plus à ma vie intérieure et en apprenant à utiliser les outils qui permettent de la développer et de la rendre féconde, j’ai commencé à sentir que je rapatriais, que je “re-cueillais” les morceaux.  Cet alignement m’a ancré dans mes racines et encouragé à lever mon « antenne » pour capter plus finement.

Cette réunion entre ce que nous ressentons dans toutes nos alvéoles, ce que nous pensons et comment nous agissons, encourage notre verticalité et notre capacité à capter ce dont toutes les traditions nous parlent avec des mots divers comme le souffle, l’esprit, la grâce. Ce cheminement vers l’ancrage profond est le sens “d’apprendre à être.”

Umanz- Dans votre livre, on lit que : “l’insatisfaction existentielle va souvent de pair avec une nostalgie perpétuelle.” Qu’est-ce qui permet de dépasser cet état ?

Thomas d’Ansembourg : J’ai compris en thérapie pourquoi, étant jeune, alors que j’étais joyeux en société, avec mes amis, je rentrais seul et triste chez moi, avec une certaine nostalgie, un mal du pays comme un exil de quelque chose, un manque par rapport à un état de plénitude possible. 

Le travail sur le cœur et l’intuition spirituelle m’ont permis de percevoir de plus en plus constamment l’appartenance à la vie, la connexion à l’être en soi comme à l’être en l’autre. De vraiment goûter l’instant, sans nostalgie ni angoisse de séparation. Cela a pris du temps car j’étais très pris dans la course à “tout bien faire”. Ce fameux “Si je fais bien vous m’aimez bien” et donc “si je fais bien et beaucoup vous m’aimez bien et beaucoup.” 

Rapatrier la sensation d’amour en moi-même et non dans le regard de l’autre m’a permis de me sentir être, de continuer à créer et faire des choses et dépasser la roue du hamster. Cette roue qui finit par commander le hamster. Celle du “Faire, Faire, Faire”. 

Umanz- Quelle serait votre approche pour recréer du “nous” et “faire société” aujourd’hui ?

Thomas d’Ansembourg : Prenons ce questionnement dans l’autre sens. Ce qui divise c’est la peur qui crée de la séparation, de la fuite ou de l’agression. Si nous apprenons à côtoyer la peur, à ne plus “avoir peur d’avoir peur”, nous entrons dans la confiance et cela contribue à créer du « nous » et à « faire société ». 

La confiance ça s’apprend dans l’enfance et là, on rejoint de nouveau l’urgence de transformer l’éducation. Car aujourd’hui la peur c’est que si l’on rate, on est perdu. L’échec est vu comme une honte, une dégringolade. Encourageons les challenges, acceptons les échecs. Prenons-les comme une occasion magnifique de maturation.  

Si nous voulons une humanité plus généreuse commençons à l’être avec nous. Sortons des jugements négatifs qui fondent les comportements agressifs. Il s’agit d’abord de “rétablir la paix dans cet espace d’humanité que je suis”. C’est une question de santé publique et de développement social durable. C’est aussi ce point que j’aborde dans le livre “La paix ça s’apprend” écrit avec mon ami David Van Reybrouck. 

Un citoyen pacifié est un citoyen pacifiant.

Umanz- Vous nous invitez à nous “asseoir sur notre chaise d’intériorité” ? Comment faire ?

Thomas d’Ansembourg : Si vous voulez apprendre une nouvelle langue vous allez vous impliquez régulièrement. Si vous voulez développer une vie intérieure c’est la même chose vous allez commencer par quelques minutes par jour. 3 minutes d’attention,  3 fois par jour. L’occasion d’une rencontre avec soi à l’écoute des différentes parties de soi. 

En démarrant petit, on permet à la chose d’avoir lieu. Quand on y réfléchit, ce n’est rien du tout par rapport au temps qu’on passe à s’occuper de son visage, soigner ses cheveux, soigner sa barbe. 

On prenant ce temps pour se demander à soi même : “comment ça va ?” on finit par comprendre que les émotions habitent en nous, qu’elles nous appartiennent certes mais ne sont pas “tout moi”.

Développer son intériorité c’est aussi savoir reconnaître les mécanismes autobloquants qui sabotent notre perception du monde. Le premier étant la “Culture du malheur” et ce doute profond dans le “droit d’être heureux”. C’est comme un disque dur encodé dans une vallée de malheur, souvent héritée de notre héritage familial. C’est le classique : “on est pas là pour rigoler” qui sabote la joie et notre accès au bonheur.

On arrive ainsi très vite au “ça va mieux quand ça va mal” décrit par le psychologue québécois Guy Corneau. C’est une croyance qui fonde par ailleurs beaucoup de nos difficultés à croire dans une relation amoureuse stable et joyeuse.

Umanz- Comment trouver ou créer du sens en 2020 ?

Thomas d’Ansembourg : Ce qui me paraît de plus en plus nécessaire dans ma pratique d’accompagnement des personnes, c’est d’apprendre à connaitre qui nous sommes vraiment, notre vraie personne au-delà du personnage, quels sont mes talents propres et mes élans de vie.

Le sens consiste à rencontrer et mettre au monde cette vraie personne, parce qu’immanquablement l’élan de base de l’être en nous est de prendre soin et d’apporter sa contribution au monde. Nous voulons offrir notre couleur à la grande fresque, notre note à la symphonie, loin de ces métiers répétitifs et ennuyeux qu’on nous oblige à suivre. 

Aujourd’hui, nous avons souvent plus appris à compenser notre mal être de toutes sortes de façons qu’à trouver notre bien être profond et contagieux : il est temps d’inverser !


Extrait de “Notre façon d’être adulte fait elle sens et envie pour les jeunes “ Thomas d’Ansembourg, Editions de l’Homme :

“J’y ai ensuite appris ceci, qui a tout son prix pour le rapport au sens: nous sommes contagieux des états que nous portons. Et ce, surtout dans une fonction de responsabilité ou de direction d’équipe ; cela vaut pour toute fonction de transmission (parentalité, enseignement, soin, animation de tous types) et j’ajouterai encore plus particulièrement si nous traversons des moments difficiles avec le groupe dont nous avons la charge. Vous l’aurez sans doute perçu, sinon vécu: si vous êtes agacé, vous êtes aga- çant, si vous êtes fatigué, vous êtes fatigant, et si vous êtes découragé, vous êtes décourageant. Inversement, si vous êtes joyeux, vous êtes réjouissant, si vous êtes enthousiaste, vous êtes enthousiasmant, et si vous êtes inspiré, vous êtes inspirant!”