Depuis deux ans, à la faveur de la libération de la parole, les sociétés “Cool” (jeux vidéo, agences de com, boîtes de production audiovisuelles, startups, sociétés à impact ) font face à une vague sans précédent de conflits RH sur fond de détérioration de la marque employeur et de fuite des talents.
Des dialogues hors les murs
Le fait nouveau est que depuis quelques années, l’enjeu réputationnel des entreprises s’est déporté sur les réseaux sociaux et que les comptes se règlent désormais par hashtags interposés sur #balancetastartup ou #balancetonagency. Le conflit, préalablement géré entre syndicats et dirigeants à huis-clos, se tient désormais hors les murs, faute de dialogue social préalable. Les normes d’acceptabilité et de régulation de la violence sociale ont été extériorisées. Et les sociétés de l’économie positive et les ONG de sont pas épargnées par ce grand débarras, surtout quand, dans le comportement des dirigeants, l’engagement l’emporte sur tout le reste…
Longtemps les boîtes qui faisaient fuir les talents étaient des lieux qui ne faisaient pas rêver. Aujourd’hui, c’est un paradoxe et un réveil amer pour ces sociétés “du rêve” d’être qualifiées de malfaisantes. Pendant des dizaines d’années, elles ont bénéficié d’une aura et d’un tampon réputationnel qui a trop longtemps protégé leur attractivité. Mais en 2022, le roi est nu, elles ne sont finalement différentes en rien des boîtes “ennuyeuses” dans le fonctionnement collectif . Le rêve obscurcissait la réputation et surtout pendant toutes ces années : “les sujets RH n’étaient pas cool”.
Marque employeur, nouvelle page blanche
Le deuxième fait nouveau est que toute une génération pour qui “le cool ne suffit pas” arrive dans le monde de l’emploi. Ces sociétés se trouvent alors terriblement en retard sur les sujets de sens ou de social. L’investissement dans le dialogue social, une vraie politique RH et la réflexion sur des questions fondamentales telles que : comment je gère une carrière ? comment intégrer les nouvelles problématiques sociétales ? sont encore largement impensées. Elles représentent pourtant, pour l’industrie du cool, un enjeu existentiel.
Car c’est un paradoxe : à l’époque du tout image, l’image ne protège plus, ne suffit plus. Dans ce cadre qui est celui d’une crise RH profonde, il est vital d’accompagner le corps social et reposer des dialogues sur des sujets longtemps ignorés comme le succès, la dignité au travail ou la notion de pénibilité . Pour ce faire, il faut de nouveaux radars et de nouveaux référentiels.
Le retour au réel passera aussi par la mise en place de grilles de lectures intelligibles sur des sujets majeurs comme le harcèlement, le burn-out et l’immense lame de fond des problèmes de santé mentale qui touche tous les échelons des entreprises.
Espaces de dialogue ET espaces de controverses
Il faudra également réouvrir des espaces de dialogue et de controverses pour que les sujets complexes et clivants cessent de fuir l’entreprise. A ce propos, j’ai constaté que le meilleur moyen est souvent que les salariés créent leurs propres lignes d’information sociale en interne. Encore faut-il les accepter.
Il faudra enfin comprendre, et c’est l’un des grands enseignements de la crise sanitaire que nous venons de traverser, que dans un monde ou les digues séparant vie privée et vie personnelle ont explosé, la préservation et la protection de la sphère intime est un enjeu majeur pour les entreprises.
Il faudra enfin aux dirigeants de demain s’accorder avec ce « New Deal » dans la relation employeurs/employés, car la donne a changé et la vitrine d’une entreprise est désormais aussi constituée de celles et de ceux qui la composent. C’est une bonne chose car cela rompt avec l’archétype du capitaine seul sur son navire, seul responsable des réussites comme des échecs. Une leçon d’humilité en somme, nouvelle vertu cardinale des dirigeants de demain.
L’entreprise, souvent percutée mais peu outillée, est désormais le carrefour de tout. À elle de choisir ses nouveaux dialogues.