“Ces étranges puissances souterraines” : plongée dans les règles non écrites des organisations, avec Xavier Camby (Essentiel Management)  - Umanz

“Ces étranges puissances souterraines” : plongée dans les règles non écrites des organisations, avec Xavier Camby (Essentiel Management) 

“Puisque ces mystères nous dépassent feignons d’en être les organisateurs” disait Cocteau…

Derrière les règles et procédures affichées des entreprises, les règles non écrites dictent souvent l’humeur, l’énergie et parfois la sclérose des organisations.

Xavier Camby, consultant en management, fin observateur de ces mondes souterrains depuis plus de 20 ans auprès de grandes Entreprises Européennes chez Essentiel Management a accepté d’être notre guide.

Umanz : Comment expliquer l’existence de règles non-écrites dans les entreprises ?

Xavier Camby : Il semble intéressant, pour le comprendre, d’observer tout d’abord les efforts déployés et les stratégies mises en œuvre par certains dirigeants ou certaines équipes de gouvernance pour essayer d’imposer une « culture » nouvelle au sein d’une organisation. On entend alors parler de « culture » du changement, du feed-back, de l’innovation, de la bienveillance… Cela montre qu’il existe bien une culture première, originelle, au sein de chaque organisation.

 

« Une authentique culture d’entreprise regroupe pourtant, au sein d’une organisation donnée, l’ensemble de ses valeurs originelles, sa mémoire collective, ses savoir-être et savoir-vivre ensemble, tous les deux essentiels, de nombreuses règles de comportements, et surtout ses mythes, qui donnent du sens ! »

Cette vraie culture d’entreprise, native, semble considérablement déranger certains dirigeants et ne plus guère intéresser les sociologues, alors qu’elle fût jadis intensément valorisée et étudiée. 

Une authentique culture d’entreprise regroupe pourtant, au sein d’une organisation donnée, l’ensemble de ses valeurs originelles, sa mémoire collective, ses savoir-être et savoir-vivre ensemble, tous les deux essentiels, de nombreuses règles de comportements, et surtout ses mythes, qui donnent du sens ! Rien de cette culture n’est écrit ou affiché, mais c’est elle qui crée une identité forte, un esprit d’appartenance et un engagement durable. Non formelle et non verbalisée, elle est pourtant fédératrice de l’ensemble des parties prenantes d’une organisation saine, clients et fournisseurs compris.

Peut-être est-ce là précisément le problème : la force fédératrice de cette culture d’entreprise native. On répète sans fin cette croyance toxique : il convient de diviser pour mieux régner ! Cette idée est idiote : il est tellement plus simple et efficace d’unir pour mieux régner !

A grand renforts de bonnes intentions et d’injonctions impérieuses, jusqu’à la caricature le plus souvent, on voit des « entrepreneurs diplômés » vouloir tout changer, et imposer par décret des comportements automatiques, stéréotypés et artificiels. Ils essaient de déclarer une humanité augmentée (mais solitaire) pour engendrer une productivité exponentielle ! (Exponentiellement artificielle aussi, puisque détruisant ses ressources)

La mode est à la norme… Et c’est en fait seulement le pouvoir qu’ils cherchent.

C’est dans ce contexte et cet environnement désormais que s’expriment les règles non-écrites. Plus discrètes, quasi-souterraines, parfois mêmes entrées en résistantes…

Umanz : Existe-t-il une typologie des règles non-écrites au sein des organisations ? 

Xavier Camby : Pas précisément observables, à ma connaissance. La difficulté vient de ce ces non-dits naissent de croyances (en général, des dénis de réalités) ou bien de consignes formelles au sein d’un groupe, tues par qu’indicibles. 

Du très banal « interdit » de shake-hand quotidiens dans certains environnements anglo-saxons (on se serre la main le 1er jour et … le dernier jour), aux diverses facéties inventées dans les start-up notamment (barrières invisibles, sujets incongrus, mots codés et jargons, croyances d’obligations, codes vestimentaires…) aux envahissantes bises quotidiennes, matinales et vespérales, à la française, les règles non-écrites sont très nombreuses, insaisissables ou invisibles. Mais toujours, y déroger est considéré comme une offense collective, à l’encontre du groupe.

« par « discrétion », aucun manager ne participe jamais aux Ateliers de formation qu’il impose pourtant à ses collaborateurs… »

J’ai plusieurs exemples de ces règles non-écrites, aussi intangibles qu’impératives. Il y a peu de temps, intervenant au bénéfice d’une Direction Générale d’une très grosse entreprise industrielle, se déclarant en pleine mutation, il s’en fallu de très peu que notre séminaire de 2 jours soit annulé : j’avais commis l’irréparable, en demandant qu’il n’y ait aucun vin offert lors des déjeuners ! Au 21ème siècle, malgré une intense et nécessaire prévention en son sein, cette entreprise se voulant à la pointe du modernisme et se prétendant humaniste, restait marquée par ce diktat, jusqu’en son équipe de gouvernance : déjeuner ensemble = vins sans réserve ! Autre exemple de règle non-écrite, qui oblige : le vouvoiement des collaborateurs et le tutoiement des pairs. Archétypique en France (Énarques, Grandes écoles, corporatismes divers…), elle existe dans d’autres pays, là-même où seule l’inflexion de la voix permet de distinguer entre familiarité et distance. Cet esprit de caste, règle non déclarée car inavouable, se retrouve en de nombreuses organisations : par exemple, par « discrétion », aucun manager ne participe jamais aux Ateliers de formation qu’il impose pourtant à ses collaborateurs… Et la remarque ne manque jamais de fuser : « c’est plus haut, qu’il conviendrait de le dire… ».

« dans les environnements toxiques […] Ces règles non-écrites servent essentiellement à créer, à entretenir ou à maintenir le pouvoir »

Ce que je constate le plus fréquemment, dans les environnements toxiques, c’est que ces règles non-écrites servent essentiellement à créer, à entretenir ou à maintenir le pouvoir. D’une personne ou d’un groupe, au sein d’une organisation. Elles prennent alors la forme de menaces implicites. Genre « contrarier le Chief Compliance Officer, ou contredire le chef du Bureau des Méthodes est impossible ». Sinon…

Dans certaines de ces organisations, ces « règles » tacites sont monstrueuses : inspirées d’un très hypothétique darwinisme social et/ou économique, elles postulent que la seule façon de progresser et d’avancer est d’éliminer ses congénères ! C’est donc l’hallali…

Fort heureusement et très souvent, de nombreuses règles non-écrites sont aussi très intrinsèquement positives et humanisantes : dire bonjour à tous, avec cœur, chaque matin, prendre une pause ensemble, toujours offrir à boire à chaque visiteur externe…

Umanz : Comment se servir de ces règles non-écrites, les influencer ou en introduire de nouvelles ?

Xavier Camby : En respectant premièrement celles qui existent ! Rien n’est plus vain que de vouloir enfoncer ces règles implicites et partagées, à force ! Connaissez-vous le principe d’Archimède appliqué au management ? Toute pression entraîne une résistance contraire symétrique ! Prendre le temps de bien les comprendre, sachant qu’elles s’expriment majoritairement dans le Body-Language, pour bien les identifier, au sein de chaque équipe. Puis utiliser les positives d’abord, pour les valoriser et les renforcer. 

C’est un signal fort, qui permet de faire baisser les défenses inconscientes. Le message induit est alors, pour reprendre la très belle image de Kipling : « nous sommes du même sang toi et moi ». C’est le maître-mot de la jungle, celui qui aboli les frontières invisibles établies par ces non-dits. Et réunit ensuite toutes les espèces. 

Ce travail patiemment entrepris ou achevé, on peut alors faire évoluer ces règles. Notamment en se fondant sur les positives et en les complétant par des valeurs. 

« on peut décontaminer certaines croyances en faisant usage de la vérité. Ce qui demande du courage bien sûr. »

A titre d’exemple, on peut décontaminer certaines croyances en faisant usage de la vérité. Ce qui demande du courage bien sûr. Mais dès que cessent l’enfumage managérial, les discours convenus, les fausses questions, la parole alors enfin se libère et les règles non-écrites s’émancipent du secret. Il devient alors possible de les transformer ou de les transcender !