C’est un sujet peu débattu au sein des Comex et pourtant l’ignorance stratégique est l’une des causes majeures de faillites, de retards industriels ou de décisions mal informées chez nos dirigeants.
L’ignorance stratégique vérifie l’adage tristement célèbre d’Upton Sinclair : “Il est difficile de faire comprendre quelque chose à un homme lorsque son salaire dépend précisément du fait qu’il ne la comprenne pas.”
En somme, chaque entreprise a ses tabous et ses angles morts. Un petit test, posez la question à n’importe quel cadre “Quelle est l’information que ta boite choisit le plus délibérément d’ignorer ?”. Dans 4 cas sur 5, il aura une réponse toute prête.
Un “Non-savoir” indispensable
Selon la sociologue Lindsey McGoey, qui s’est penchée sur le problème de la “Strategic Ignorance”, dans certaines entreprises marquées par des scandales retentissants : « savoir ce qu’il ne fallait pas savoir était une connaissance indispensable”.
Elle explique après avoir disséqué 27 scandales corporate que dans certaines cultures ultra politiques, hautement hiérarchisées et à enjeux de marché forts comme la pharmacie, la banque ou les médias, la culture de l’ignorance était bien plus avantageuse que la culture de la connaissance.
La chercheuse explique ainsi que contrairement aux idées reçues, l’ignorance peut être un véritable actif pour les entreprises et les administrations : “ elle aide les individus et les institutions à maîtriser les ressources, à nier leur responsabilité au lendemain des crises et à faire valoir l’expertise face à l’imprévisibilité des résultats.”
L’ignorance productive
Comment arrive t-on à de tels paradoxes ? Les causes sont multiples et tiennent à la fois de la pensée de groupe, de l’arrogance du leader, de la sur-confiance des experts et souvent, de la volonté de ne pas froisser le monarque…
Dans le conte, le seul qui a le courage de dire que le roi est nu est un enfant. Mais, en entreprise, ou dans les grandes bureaucraties, les enfants comme le courage ne sont pas très répandus. Comme l’explique sans détour, Nicolas Taleb, observateur féroce de la crise financière de 2008, “La bureaucratie est une construction par laquelle la personne est confortablement séparée des conséquences de ses actions.”
La directive autruche
Parfois, conseilleront certains avocats, la meilleure façon de ne pas avoir de preuves de son erreur et de ne pas en conserver et donc d’organiser l’ignorance. On bascule donc de l’ignorance stratégique au déni plausible. Dans les pays anglo-saxons la pratique d’ignorance délibérée est activement connue et combattue sous le nom de la “Directive autruche” (Ostrich Instruction).
Un éléphant où ça ?
Pourtant au regard des faillites retentissantes comme celle d’Enron, Theranos ou plus récemment Wirecard. Il est parfois utile de comprendre pourquoi des informations souvent aussi visibles d’un éléphant (Amazon va produire ses propres produits en marque blanches, Amazon entre dans la santé, Amazon entre de l’assurance) ne circulent pas en entreprise voire sont savamment ignorées, balayées d’un revers de main (“ils vont se planter, » « ça ne marchera jamais”) ou mises sous le tapis.
Le triomphe de l’ignorance est malheureusement tristement trivial : les informations qui ne rentrent pas dans le cadre de pensée habituel sont souvent écartée ou dépréciées. Les chercheurs Moore et Tumin ont établi l’avantage de l’ignorance organisée dans la préservations des privilèges. Elle explique aussi pourquoi les whistleblowers deviennent, sans exception, des parias dans l’entreprise.
Il savent et les stratèges de l’ignorance avec eux, que le fameux tout le monde savait est souvent rétrospectif, et que la connaissance est souvent tyrannique : elle ne peut être ignorée…