Qu’est-ce que je fous là ? Appartenir ou S’appartenir - Umanz

Qu’est-ce que je fous là ? Appartenir ou S’appartenir

Qu’est-ce que je fous là ? Appartenir ou S’appartenir

Un jour j’ai eu un insight troublant : les gens qui s’appartiennent sont souvent des gens qui n’appartiennent pas à un club, une société, un parti politique, une coterie, encore moins un “isme”.

Tout se passe comme si la souveraineté et l’intégrité s’opposaient à l’intégration sociale.

S’appartenir est un acte.

S’appartenir c’est se porter soi même, sans filet, sans tuteur.

Appartenir est souvent un acte passif. Parfois un acte subi.

Car dans les cultures collectives et communautaristes on pense que le soi est poreux. Dans certaines cultures on n’est soi-même ou ne devient soi-même que dans l’appartenance au clan, à la tribu. On ne s’appartient que dans l’appartenance.

Alors, parfois, s’appartenir est un exil. Celui qui veut s’appartenir préférera toujours les animaux sauvages aux animaux domestiques.

S’appartenir c’est parfois connaître le poids des pertes qui nous constituent. C’est savoir perdre et abandonner. Et quoi abandonner…Un long apprentissage.

Celui qui sait s’appartenir a appris par l’expérience, qu’il y a un espace entre le feu intérieur et le miroir du monde et que c’est dans cette tension que l’on advient.

Seuls s’appartiennent ceux qui ont risqué l’exil, l’abandon du clan. Ceux qui ont su se déraciner.

Mais ils savent que l’exil n’est qu’une étape qu’il faut parfois savoir se retirer du monde pour y revenir entier. C’est la grande leçon de l’odyssée du héros de Joseph Campbell. Chez les Dogons, comme dans le Walkabout aborigène, l’un des rites de passage consiste à s’éloigner des siens et aller dans la brousse ou dans le bush pour “écouter les voix que l’on porte”.

Quelles voix portez-vous ?

Mais la voie est étroite. Ceux qui ont su s’appartenir ont toujours refusé d’être définis par les autres. Ce sont ceux qui se reconnaissent dans l’estrangement et dans la figure archétypale de l’homme-en-dehors.

Ce sont eux qui aspirent et qui parfois touchent du doigt la profondeur de la souveraineté nue.

S’appartenir, mais appartenir à l’autre

On a longtemps opposé la communauté et la société. C’est une grille de lecture héritée du sociologue allemand Ferdinand Tönnies à la fin du XIXème siècle et qui explique en partie les fractures actuelles des Somewheres et des Anywheres.

La première catégorie, la communauté (Gemeinschaft) est généralement ancienne et traditionnelle. Dans ce type de société, le lien organique de solidarité prime. Une configuration où la communauté s’impose et prime sur l’individu. On n’y adhère pas et on ne la quitte pas nous dit wikipedia.

L’autre catégorie est la société (Gesellschaft) une association libre d’individus où l’individu prime sur le tout. Un individu peut donc librement adhérer ou se dissocier du groupe via un contrat social ouvert.

Et bien que s’appartenir soit un geste d’éloignement salutaire, il faut un jour revenir à la maison et se réunifier aux autres, fort d’un nouveau savoir (trésor, épée, elixir) . C’est la seconde leçon de Joseph Campbell : celle du retour du héros. Celle du retour d’Ulysse à Ithaque ou de Bilbo au Cul-de-sac.

Car la plus haute appartenance est d’être disponible à l’autre.

Il s’agit donc d’être lié, différencié, mais pas fusionné. D’être capable de retourner enrichi de nouveaux savoirs et pratiques auprès des siens.

In fine, être ni solitaire, ni dilué, c’est peut-être celà vivre “la chair du moment”.

Celui qui s’appartient encore après l’exil, c’est celui qui s’accorde à lui-même mais aussi à la saison, au groupe, au feu.

C’est celui qui a compris un jour que celui qui s’appartient trop n’accueille plus et finit par devenir forteresse tandis que celui qui n’appartient qu’aux autres devient couloir. La vérité, comme d’habitude, est In Between.

Peut être alors que la vraie appartenance est de s’avoir s’ouvrir à ce qui est plus vaste que soi. Comprendre que le soi n’est jamais fixe mais un point de tension. Que le rapport de soi aux autres est sur un spectre.

Qu’il ne faut pas être son propre bourreau ni son geôlier secret, que s’appartenir c’est aussi cesser de vouloir se posséder, que s’appartenir à l’excès devient une fuite quand on refuse le retour au monde.

Car celui qui s’appartient tout en sachant appartenir aux siens sait que l’identité est une danse entre nous et les autres que la façon de se trouver est peut-être de tenir, serein, dans cet espace liminal.

Et qu’en dernier lieu, notre seul devoir est d’appartenir à ce qui nous rend vivant.