Deci delà, parfois abondantes, parfois rares et cachées, de nombreuses lectures ont émaillé mon été d’introverti. J’y ai recueilli quelques phrases délicates, douces ou féroces.
Voici mon panier d’été.
Bonne rentrée à tous :
Les chansons qui nous appartiennent
« J’aime bien les chansons moins connues j’ai l’impression qu’elles sont un peu plus à moi que les autres.»
Vincent Delerm à Alain Souchon dans “Je ne sais pas si c’est tout le monde.”
Les Pensées Vives, les Pensées Vivent
– Vous lisez dans les pensées ?
– Seulement en cas de sentiments passionnés. Les pensées ordinaires sont assez ennuyeuses. Les idées puissantes ont une vie propre, elles se transmettent d’être en être, inchangées.
Jasper Fjorde, Moi, Jennifer, Dernière tueuse de Dragons
Les Cortèges funèbres à Bogota
Je fus impressionné par les gigantesques percherons qui tiraient les charrettes de bière, par les étincelles que faisaient jaillir les tramways quand ils tournaient le coin des rues, par les embouteillages que provoquaient les cortèges funèbres à pied sous la pluie. C’étaient eux les plus lugubres avec leurs corbillards luxueux, leurs chevaux accoutrés de velours, de pompons et de plumets noirs, leurs cadavres de bonnes familles qui se comportaient comme si elles avaient inventé la mort.
Gabriel Garcia Marquez, (Vivre pour la raconter)
La vertu de l’échec
Rien n’affaiblit davantage un artiste, un général ou un homme de pouvoir que l’incessante satisfaction de sa volonté et de son désir : il n’y a que dans l’échec que l’artiste découvre sa véritable relation à son œuvre. Il n’y a que dans la débâcle que le général remarque ses erreurs, il n’y a que dans la disgrâce que l’homme d’État prend la mesure de la politique. L’abondance rend l’esprit obtus ; son interruption redonne de la tension et de l’élasticité créatrice. Seule l’infortune donne profondeur et ampleur au regard qui scrute la réalité du monde.
Stefan Zweig (Fouché)
La fin d’un récit
La fin du récit est de dire l’éprouvé. (Même chose pour la chasse; même chose pour la transe chamanique; même chose pour la psychanalyse.)
Qu’est-ce qui s’oppose au pouvoir-revenir- dire? La mort (ou la folie dans le cas de la transe).
Ce n’est pas la réalisation de l’exploit, la victoire au combat, la solution de la tâche qui font la fin de la chasse, qui font la fin de la compétition, qui font la fin de la guerre. La fin c’est de revenir-dire.
Pascal Quignard, Abîmes
Dans la lumière de cette heure là
Le jour de l’enterrement de sa mère, C. a été piquée par une abeille. Il y avait beaucoup de monde dans la cour de la maison familiale.
Jai vu C. dans l’infini de ses quatre ans, être d’abord surprise par la douleur de la piqûre puis, juste avant de pleurer, chercher avidement de yeux, parmi tous ceux qui étaient là, celle qui la consolait depuis toujours, et arrêter brutalement cette recherche, ayant soudain tout compris de l’absence et de la mort.
Cette scène, qui n’a duré que quelques secondes, est la plus poignante que j’aie jamais vue. II y a une heure quand, pour chacun de nous, la connaissance inconsolable entre dans notre âme et la déchire. C’est dans la lumière de cette heure-là, qu’elle soit déjà venue ou non, que nous devrions tous nous parler, nous aimer et même le plus possible, rire ensemble.
Christian Bobin, Ressusciter
Le monde aime le talent mais paie pour le caractère
Les choses que l’on apprend à la maturité ne sont pas des choses simples comme l’acquisition d’informations et de compétences.
Vous apprenez à ne pas vous engager dans des comportements autodestructeurs. Vous apprenez à ne pas brûler votre énergie dans l’anxiété.
Vous découvrez comment gérer vos tensions, si vous en avez, et vous en avez sûrement.
Vous apprenez que l’apitoiement sur soi et le ressentiment sont parmi les drogues les plus toxiques. Vous découvrez que le monde aime le talent, mais qu’il paie pour le caractère ».
John W. Gardner
L’espoir est une émotion guerrière
Je finis ces bouchées d’été avec la lettre du chanteur Nick Cave à l’un de ses fans, Valerio, qui l’interrogeait sur l’espoir :
« Cher Valerio, j’ai passé une grande partie de ma jeunesse à mépriser le monde et ses habitants. C’était une attitude à la fois séduisante et complaisante. La vérité, c’est que j’étais jeune et je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait.
Il a fallu une dévastation pour m’apprendre la préciosité de la vie et la bonté essentielle des gens qui la peuplent.
Il a fallu une dévastation pour révéler la précarité du monde, de son âme même, et pour comprendre que le monde criait à l’aide.
Il a fallu une dévastation pour comprendre l’idée de la valeur mortelle.
Il a fallu une dévastation pour retrouver l’espoir.
Contrairement au cynisme, l’espoir est un acte difficile à gagner, exigeant et un endroit qui peut souvent nous sembler être le plus indéfendable et le plus solitaire de la planète.
L’espoir n’est pas une posture neutre. C’est un acte d’opposition. C’est l’émotion guerrière qui peut anéantir le cynisme. Chaque acte rédempteur et aimant, aussi petit soit-il – comme lire à votre petit garçon, lui montrer quelque chose que vous aimez, lui chanter une chanson ou lui mettre des chaussures – maintient le diable au fond de son trou.
Il dit que le monde et ses habitants ont de la valeur et méritent d’être défendus.
Il dit que le monde mérite que l’on y croie.
Avec le temps, nous réalisons que c’est le cas.»