“T’es vraiment nul et vieux” : récit de la phobie scolaire ordinaire - Umanz

“T’es vraiment nul et vieux” : récit de la phobie scolaire ordinaire

François Cuel raconte avec  amour, intensité, franchise, délicatesse mais aussi humour (la différence entre le pfffffetage et l’argggouisme) le parcours du combattant d’un père confronté à sa fille, Louise, victime de phobie scolaire dans son livre : “T’es vraiment nul et vieux” paru chez Harper Collins.

Une lettre à sa fille et aussi sa vérité en forme de confession.

Il a accepté de répondre aux questions de Umanz :

Umanz- Quels sont vos conseils aux parents qui se sentent “vieux et nuls” face à leurs ados ?

François CUEL :

  1. Se souvenir de ce que nous étions à cet âge.
  2. Se rappeler que l’adolescence est un phénomène récent. Elle est apparue vers 1860 dans les pensionnats catholiques de garçons. Peut-être n’existera-t-elle plus dans cent ans !
  1. Se passionner pour les mêmes choses que les ados. C’est le point le plus délicat mais aussi le plus intéressant car il suppose que nous éprouvions réellement de l’intérêt pour des sujets qui nous passent très sérieusement au-dessus de la tête. En tant que parents, nous sommes tendus vers un but contradictoire : éveiller leur intérêt pour des sujets adultes, établir des raisonnements de grandes personnes, etc. Ce qui leur passe…au- dessus de la tête.
  1. Attendre.

Umanz- Quelles sont avec le recul, vos réflexions sur les rôles et les interactions père/mère dans cette situation ?

François Cuel : Les pédopsychiatres semblent penser que les interactions sont importantes puisqu’une piste essentielle pour lever la phobie scolaire est la thérapie familiale. Père, mère et enfant se retrouvent donc devant un thérapeute et tâchent de démêler le fil ensemble.

Nous sommes le modèle social, le moule génétique, le canevas comportemental. Il me semble difficile de nier la force des interactions. La question est d’en comprendre réellement la mécanique. Elle est complexe puisqu’elle combine plusieurs variables. La relation de Louise et ses parents (comme unité), la relation de Louise à sa mère, à son père, le récit secret (secret même pour elle) qu’elle a composé de notre histoire, et puis le terrain peut-être propice et enfin, tout simplement, l’héritage : j’écris dans T’es vraiment nul et vieux que Louise est une version radicalisée de moi qui n’avait pas beaucoup de goût pour l’école ni pour les groupes, qui vivait la nuit… Je suis passé entre les gouttes, pas elle.

Umanz- Pourquoi cette explosion de phobies scolaires ces dernières années ?

François Cuel : Parce que les enfants ne sont plus l’objet de l’école. Peut-être d’ailleurs n’en ont-ils jamais été l’objet. Parce que la mission originelle de l’Éducation nationale – imposer une langue, former une nation –, est complètement dépassée.

Parce que l’Éducation nationale est un auxiliaire de l’économie et d’un ordre social qui convainc de moins en moins. Parce que l’Éducation nationale est une industrie qui rejette toute pièce « défectueuse ». Parce que très clairement ni les profs ni le personnel administratif ne sont formés à détecter le harcèlement. Or, le harcèlement est la porte d’entrée de la phobie.

Umanz- Comment l’école peut aider à mieux prévenir et appréhender la phobie scolaire ?

François Cuel : Il faudrait d’abord éradiquer le harcèlement. Il faudrait ensuite que l’école considère les enfants différents, non comme des boulets, mais comme une chance. On n’y est pas du tout.

Umanz- Quel regard portez vous sur votre long parcours auprès des Psys ?

François Cuel : Admiratif. Malgré les nuls, les imposteurs et les idéologues. C’est la discipline du mot, de la patience et de l’abnégation. Pas d’antibiotique ou d’anti-inflammatoire. Juste un lien qu’il s’agit d’établir et de développer. Il faut une imagination considérable pour être un bon clinicien : regarder son patient sans a priori et plonger en lui en étant capable un moment d’oublier ce qu’on sait.

Umanz- Comment va Louise aujourd’hui ?

François Cuel : Très bien sauf qu’elle ne va pas à l’école ce que sa mère et moi avons fini par accepter. Son avenir passera par d’autres voies. Sauf si elle parvient à retourner à l’école, ce qu’elle souhaite. Car la phobie scolaire n’est pas un dégoût de l’école, de l’apprentissage des savoirs, de la vie en société… Elle est juste une impossibilité d’y parvenir.