« Dans la maison de notre enfance, nous avions un philosophe. Savoir ce qu’est un philosophe n’est pas à la portée des enfants que nous fûmes. Tout ce que nous savions, c’est qu’il ne fallait pas jouer aux Indiens, au ballon à moins de cinquante mètres de son bureau. Notre mère veillait au grain : “Un philosophe se nourrit de silence.” Dans la maison de notre enfance, il y avait le silence et un philosophe… Peu à peu, il a rompu le silence nourricier. Il a développé toutes sortes de langages. Il a parlé à la radio, à la télé. Il a écrit des livres et des livres. Mais nous avons gardé dans notre liaison intime, dans notre cœur, ce philosophe. Nous avons gardé dans notre cœur un philosophe et son silence. En vieillissant, il est devenu de plus en plus généreux, de plus en plus prévenant, de plus en plus partageur, de plus en plus élégant. Et nous, surpris, nous nous sommes rendu compte que dans la maison de notre enfance il y avait maintenant plus qu’un philosophe ! Aujourd’hui, nous avons tous autour de 60 ans. Malgré notre âge, nous sommes ses enfants. Le philosophe a rejoint son silence et nous a laissé la présence d’un père. »
Jacques Serres