À force de répéter l’une des phrases les plus connues d’Alvin Toffler: “The illiterate of the 21st century will not be those who cannot read and write, but those who cannot learn, unlearn, and relearn”, on s’est souvent concentré sur l’aspect apprendre ou ré-apprendre, notamment avec l’émergence du lifelong learning mais peu se sont penchés sur l’art de désapprendre.
Aujourd’hui encore, on dit d’une personne qu’elle apprend bien, rarement qu’elle désapprend bien.
« Voyons les choses autrement”
« Quand le contexte autour de vous change vous devez désapprendre. » plaide Navi Radjou. Et, le premier signe de la nécessité de désapprendre est un changement dans votre environnement.
Car souvent le désapprentissage est une nécessité. Il apparaît lorsque les précédentes connaissances, savoir-faire ou bonnes pratiques enracinées se révèlent obsolètes.
Désapprendre est un processus qui réclame un dose d’humilité et de clairvoyance. Désapprendre commence par trois questions explique Navi Radjou :
- Qu’est-ce qui doit changer ?
- Pourquoi je fais cette chose ?
- Comment je fais cette chose ?
Le processus de désapprentissage (unlearning chez les anglo-saxons) commence donc par un changement de perspective. A une époque d’accélération de l’innovation ce changement de perspective doit devenir une agilité. Souvent, il implique de sortir de sa zone (géographique, technique, statutaire) de confort.
Qu’avez vous désappris aujourd’hui ?
Il existe une question absolument vertigineuse que personne ne se pose c’est : que dois-je désapprendre pour progresser ?
On a tous désappris quelque chose : que fumer n’était pas cool ? Que certaines pubs n’étaient pas ok… Et pourtant, beaucoup d’entre nous achètent la dernière version de l’iPhone dès qu’elle sort.
Pourquoi, parce que parfois les pensées sont encore plus enracinées que les habitudes…En bref, on arrive à changer ses vieux habits, pas ses croyances.
Désapprendre est un processus sélectif
Cela passe parfois par la capacité à prendre du recul sur ses comportements. S’arrêter et dézoomer. Comprendre par exemple : combien de fois la course à l’indicateur vient-elle obscurcir l’objectif réel :
“Pour moi, comme pour la plupart des étudiants, la façon dont on notait ce que j’apprenais a complètement supplanté l’apprentissage véritable à l’université.”
Une des premières leçons à désapprendre chez les étudiant plaide ainsi le VC Paul Graham, est de différencier la qualité de qui a été enseigné du niveau de ses notes.
Le processus d’Unlearning devient donc une dynamique et une gymnastique ou le discernement aide à faire la distinction entre ce qui doit être appris et ce qui peut être désappris.
Les ennemis du désapprentissage
Comme souvent dans les processus d’unlearning, les obstacles au changement tiennent à la force de l’habitude, le fameux “on a toujours fait comme cela” demeure l’obstacle éternel à la fertilité de l’esprit du débutant.
Il s’agit donc de creuser au plus profond pour comprendre les mécanismes de la résistance au changement. A cet égard, l’une des raisons principales de la difficulté à désapprendre tient à ce que la Harvard Business Review a identifié comme la peur de perdre la face “Loss of Face”. Dans ce schéma, les managers se concentrent sur ce qu’ils vont perdre (taille de l’équipe, titre, zone d’influence) et non sur ce qu’ils vont acquérir. Une posture de résistance au désapprentissage qui montre combien il est fréquent, dans une communauté professionnelle, que la perte d’une croyance ou d’un stéréotype soit vécue comme la perte d’une identité.
Apprendre à désapprendre
Désapprendre réclame d’examiner son processus de pensée et d’acquisition il faut d’abord :
1- Comprendre les mécanismes de validation
« Most people don’t want accurate information, they want validating information.
Growth requires you to be open to unlearning ideas that previously served you. »
— Jim OShaughnessy (@jposhaughnessy) June 10, 2021
Réaliser que la plupart du temps le réflexe est de chercher des informations validantes plutôt qu’exactes. Un état d’esprit en croissance (Growth Mindset) oblige parfois à faire l’effort de désapprendre des idées qui vous ont longtemps servi.
L’intelligence c’était penser et apprendre aujourd’hui l’intelligence c’est savoir repenser et désapprendre explique le psychologue Adam Grant. Pour cela il faut savoir s’observer réfléchir et essayer de comprendre de manière ouverte.
2- Substituer la joie à la peur et apprécier le décalage
« Transformation is more about Unlearning than learning. »
Richard Bohr
Il faut ensuite avoir l’agilité et la volonté de remplacer la peur du changement par la joie de la découverte. Un processus parfois ardu car l’ unlearning ne prend sa valeur que dans le remplacement. En substituant “une méthode par une autre” il faut savoir se souvenir de la précédente tout en recherchant la valeur du nouveau.
Désapprendre est donc souvent un équilibre entre deux postures dans un mouvement de balancier. Il faut savoir constater l’obsolescence d’une pensée ou d’une croyance et la remplacer par une pensée plus élevée. C’est la source de tout changement.
Désapprendre c’est s’alléger
“E pur si mueve”
Galilée
Le désapprentissage est aussi un salvateur à l’ère de l’infobésité vertigineuse, le Docteur Ken Spring de l’Université de Belmont explique qu’à l’âge de 18 ans un étudiant a en moyenne consommé 30.000 heures de médias divers et variés et 15.000 heures de cours une accumulation qui cristallise les connaissances, les expériences et les opinions. Cet encombrement devient difficile à gérer dans une vie moyenne qui nous verra exercer 10 différents jobs qui changeront, en moyenne, tous les 4 ans.
Désapprendre : un apprentissage à l’envers
Désapprendre en s’allégeant réclame ainsi d’aller chercher des idées qui parfois contredisent nos opinions, nos réflexes ou nos croyances. Dans un nouveau monde, les anciennes règles ne s’appliquent plus et de nouveaux univers se créent chaque jour. C’est pour cela qu’une entreprise apprenante doit aussi savoir être une entreprise désapprenante.
« J’explique à mes étudiants que si une question bouleverse leurs fondations peut être que le problème n’est pas dans la question mais dans leurs fondations”.
Ken Spring
Désapprendre est une source de créativité
L’un des premiers bénéfices du processus de désapprentissage est la créativité. Jim Copacino un célèbre créatif publicitaire qui a tenté de déconstruire le mystérieux processus créatif a mis à jour ce schéma tout à fait inédit :
“ Les meilleures idées coulent librement d’un process intensif et immersif d’apprentissage suivi de la volonté de désapprendre…Un état subtil entre l’expertise et la naïveté intentionnelle.”
In fine, apprendre et désapprendre sont des cycles naturels pour les individus comme pour les organisations. Ce sont les deux faces d’une même pièce : la croissance personnelle.
Désapprendre est à la fois une habitude, une responsabilité et une leçon de vie. C’est pour cela que les leçons des désapprentissages sont les plus précieuses. Désapprendre s’apprend et c’est là le plus beau des paradoxes.
Que devez vous désapprendre cette année ?