Qu’il est difficile de poser l’armure ou même simplement la fendre. Peut-on sortir d’une vision à sens unique de l’entreprise comme une zone de guerre interne et externe.
Xavier Camby d’Essentiel Management a bien voulu répondre aux questions de Umanz
Umanz – Pourquoi tant de leaders ont du mal à déposer l’armure ?
Xavier Camby – Pour envisager d’enfin pouvoir la déposer, il importe d’abord de comprendre la cause de son existence. Et de quelle matière elle s’est constituée.
Cette armure, de très nombreux dirigeants, encadrants, leaders ou managers la revêtent chaque matin laborieux. Pour la porter tout le jour, alors qu’elle les épuise. Ils le ressentent, ils en souffrent chaque jour et s’en plaignant in petto, se montrent pourtant incapables d’y renoncer. Pas avant qu’advienne l’accident psychique qui fait exploser – ou imploser – ces inutiles mais rigides et trop pesantes carapaces, faites de plomb, de titane et parfois même de kevlar.
Rompant avec l’ancienne et paisible gouvernance des manufactures – là où la collaboration intergénérationnelle, l’acquisition de mérites ou d’expertises et l’infini respect de la diversité des talents personnels créaient une vraie valeur ajoutée – une organisation réputée rationnelle ou scientifique du travail (OST), a été imposée. Inventée dans les années 1880 et vertueuse en ces prémices, l’OST est peu à peu devenue, loin de son intention initiale, de croyances en dogmes, de théories en idéologies, le terrain contaminant d’une progressive mais inéluctable déshumanisation professionnelle. Autant pour les cadres qui l’opèrent que pour celles et ceux qui leur sont confié(e)s.
Un archétype comportemental s’est peu à peu imposé, une pourtant très improbable « matrice» de la performance… Toute de boulons et d’étaux. Toute de contraintes inutiles, de contrôles incessants et de méfiances systémiques. Organisées puis imposées de MBA en (dé)formations professionnelles, où le rationalisme détruit chaque possible innovation. On peut ici relire avec bénéfice l’excellent ouvrage d’Antonio Damasio : « l’erreur de Descartes ».
Umanz – Cette armure, faut-il la poser ou la fendre ?
Xavier Camby : Nos armures professionnelles sont généralement très étroitement tissées de conditionnements aussi violents et profonds qu’inhumains et idiots : se montrer bienveillant, gentil, heureux ou patient au travail constituerait un très évident et très grave signe de faiblesse, de vulnérabilité ou d’idiotie. Aimer ses collègues ou vouloir être authentiquement bienveillant serait devenu une faute professionnelle. N’être pas arrogant, impatient (jusqu’à la cruauté), irritable ni débordé manifesterait un dolosif manque de motivation, d’engagement voire même de leadership !
Vous croyez que j’exagère ? Un grand patron français a déclaré tout récemment, en pleine pandémie, à sa DRH monde : « si un salarié est heureux, c’est qu’il y a un problème de performance » ! La citation est authentique, exacte autant que l’assertion est monstrueuse. Bienvenue en enfer !
Cette armure imposée, de plus en plus de cadres la déposent en douceur, démissionnant sans frasque pour rejoindre une vie plus saine, plus humaine et plus vraie, loin des turpitudes imposées.
D’autres, comme moi, le font hélas sous la contrainte plus brutale d’une crise de milieu de vie ou d’un burnout. Un de mes amis, grand cadre dirigeant, gère désormais une auberge sur un île bretonne. Un autre, financier de grand talent, s’occupe de ses vignes et de sa boulangerie dans le sud de la France. On ne peut pas arracher son armure, ni celle d’un autre. Pas sans blessures profondes…
Umanz- Comment faire pour alors poser l’armure ?
Xavier Camby : En douceur ! C’est ce que nous faisons, depuis des années et avec beaucoup d’autres, en rétablissant au sein des organisations qui nous font confiance, une authentique anthropologie de la performance. Car le vrai Bien-être est à la racine cette authentique performance, création de valeur ajoutée, durable et créatrice. Très loin des fausses équations «comportementalistes ». C’est sur ce référentiel qu’ensuite on peut réimplanter de nouveaux comportements positifs, performants et humanisants, sans cuirasses ni carapaces inutiles.
Umanz- Faut-il la remettre si les circonstances l’exigent ?
Xavier Camby : Jamais. Car aucune circonstance ne peut aucunement justifier l’imposture.
Umanz – Quel peut être le rôle d’une équipe lorsqu’un dirigeant dépose son armure ?
Xavier Camby : Aucun. L’expérience démontre invariablement que le dirigeant qui dépose ses impostures apprises et redevient ainsi un être humain authentique – merveilleusement humain donc parfaitement imparfait mais authentique et donc performant – fédère en quelques jours seulement tous ses collaborateurs. Rien à voir avec les « leaderships » d’emprunt, qu’ils soient déclarés inspirationnels, transformationnels, durables… Voire même Bio !
L’avenir est au retour de la vérité personnelle et à la fin des (im)postures comportementales imposées : cette tendance est désormais manifeste tout autour de notre globe, universellement portée par les meilleurs de nos jeunes gens, celles et ceux qui déjà nous construisent un avenir différent.