À nos pères, ode aux papas - Umanz

À nos pères, ode aux papas

À nos pères, ode aux papas

Qu’il est difficile d’écrire sur les pères. Ils ont été l’ombre de nos premiers pas, parfois ils ont eux-mêmes écrit de merveilleuses pages sur l’enfance. Certains ont évoqué avec des mots tendres et beaucoup de pudeur leur émerveillement de père.

A l’occasion de la fête des pères, nous voulions leur rendre hommage dans Umanz :

Après un certain âge tous les pères se ressemblent

Après un certain âge tous les pères se ressemblent, quelque chose en eux s’attendrit, rend les armes, se dépouille de toute carapace. On repense à la frousse qu’ils nous flanquaient gamins quand ils élevaient la voix, nous menaçaient d’une fessée, nous enjoignaient de leur obéir, de ne pas les décevoir, faillir, trahir leur confiance, nous soustraire à leur autorité. Et les voir maintenant si désarmés nous émeut et nous donne l’impression de faire face à une autre personne, sans que parfois il soit possible d’établir un lien.

Olivier Adam, (Peine Perdue)

Papa

C’est fou la force de ce mot. C’est un coup de feu à bout portant avec une balle d’amour dans la bouche. Ça te dit que tu existes comme tu n’as jamais existé pour personne. C’est un appel qui happe le présent pur, il t’avale. Il t’oblige à être ici : ici même, hic. Tu ne sais pas ne pas y répondre, parce que voilà : tu es là, elle est là et son appel jette une passerelle vers toi que tu n’empruntes même pas : elle te traverse de part en part, elle te crée deux bras en plus, des jambes en mieux, un visage et une voix doubles. Un nous. Papa. C’est le premier mot qui sort un jour des lèvres de ton bébé et qui veut dire « lié ». Deux. Fonduensemble. Plus jamais seuls. L’unique mot absolument plein de la langue.

Alain Damasio (Les Furtifs) . Editions La Volte.

Le Papa a emmené ses enfants au Parc

Il sort tout fripé comme d’une armoire, il marche lentement l’air fatigué, légèrement excédé…Il porte sur son visage à la barbe mal taillée, le poids de la semaine et les excès de la veille.

Il a une trottinette à la main droite et l’Equipe à la gauche. Devant lui les enfants s’égayent, “Regarde devant toi Nina, attention à la dame”. Ce matin c’est son tour de sortir les enfants.

Il a soigneusement choisi sa parka la plus défraîchie, il a peaufiné son look d’ours mal léché avec son pull et ses baskets du week-end. Les autres papas le regardent d’un air complice. Les mamans d’un air amusé, parfois admiratif. Les mamans aiment les papas au parc.

Arrivé sur le banc, il fait défiler machinalement les infos sur son smartphone puis déplie son journal d’un claquement sec.  Il regarde parfois du coin de l’œil les enfants qui jouent. Il ramassera à trois reprises la petite dernière et renverra mollement un ballon.

Vers 11 heures, un soleil radieux pointera le bout de son nez et le papa regardera enfin ses enfants jouer. Un premier sourire éclairera son visage. Il se lèvera alors et ira courir derrière eux en grognant pour entendre leurs rires. Il passera sa main dans leurs cheveux.

Il ne sait pas encore qu’il vit une merveille fugace de l’existence, que le parc n’est pas une case à cocher mais un moment magique. Dans une poignée d’années il passera devant le parc, les installations auront changé, il se souviendra des merveilles.  

A 11h20 c’est le temps de rentrer . Aujourd’hui, Il doit ramener le poulet. Le samedi prend une autre saveur…Le papa a emmené ses enfants au parc.

Patrick Kervern

Rien ne m’a jamais fait plus plaisir que d’être débordé par toi

Aujourd’hui c’est ton dernier jour d’école maternelle. Je te regarde et c’est impossible. Où sont passés les plis d’enfance, au cou, aux bras aux jambes ? Où est passé Bukowsky, le hérisson qui sentait si fort et sans lequel tu ne pouvais pas t’endormir ? Où sont tes cheveux comme de la soie, les fossettes sur le dos de ta main, cette odeur suave de lait sur ta nuque ?

Ou sont ces heures où ta vie ne tenait qu’à nous. Je me souviens de l’angoisse des biberons que tu ne voulais pas finir, de l’hôpital Robert Debré où tu suffoquais. Je me souviens de la rivière au bord de l’eau et de cette joie phénoménale quand un camion poubelle passait au pied de notre immeuble, avec ses lumières et son barrissement hydraulique. Et maintenant toi, ce dernier jour et ta timidité de petit garçon qui a grandi trop vite. Dans un mois, tu iras en colo pour la première fois. Tu as déjà une amoureuse (avec des lunettes et une frange, comme ta mère, une coïncidence j’imagine). Tu dis trop cool, mégabien, super nul et tu me demandes de laisser tomber mon téléphone quand nous sommes à table. Demain, tu liras l’île au Trésor et Harry Potter. Bientôt, tu apprendras l’anglais et tu joueras aux caps. Tu auras des jobs d’été et des petites copines dans les dunes. Tu voudras faire du skate et avoir un tatouage. Tout sera allé très vite. Tu seras devenu ce que nous étions, en un claquement de doigt. Aujourd’hui, c’est

ton dernier jour de maternelle et je mesure comme le temps frappe en traître, comme il est fugitif et certain. Je me rends compte surtout, à te regarder ce matin, que tu seras plus

grand, plus beau et plus fort que moi. Et rien ne m’a jamais fait plus plaisir que d’être débordé par toi.

Nicolas Mathieu

“Dans la maison de notre enfance”. Hommage de Jacques Serres à son père, Michel Serres

« Dans la maison de notre enfance, nous avions un philosophe. Savoir ce qu’est un philosophe n’est pas à la portée des enfants que nous fûmes. Tout ce que nous savions, c’est qu’il ne fallait pas jouer aux Indiens, au ballon à moins de cinquante mètres de son bureau. Notre mère veillait au grain : “Un philosophe se nourrit de silence.” Dans la maison de notre enfance, il y avait le silence et un philosophe… Peu à peu, il a rompu le silence nourricier. Il a développé toutes sortes de langages. Il a parlé à la radio, à la télé. Il a écrit des livres et des livres. Mais nous avons gardé dans notre liaison intime, dans notre cœur, ce philosophe. Nous avons gardé dans notre cœur un philosophe et son silence. En vieillissant, il est devenu de plus en plus généreux, de plus en plus prévenant, de plus en plus partageur, de plus en plus élégant. Et nous, surpris, nous nous sommes rendu compte que dans la maison de notre enfance il y avait maintenant plus qu’un philosophe ! Aujourd’hui, nous avons tous autour de 60 ans. Malgré notre âge, nous sommes ses enfants. Le philosophe a rejoint son silence et nous a laissé la présence d’un père. »

Jacques Serres

Je me souviens de vos petites mains

Pardon de vous avoir ballottés au petit matin comme des fétus de paille

Pardon de vous avoir crié dessus pour que vous finissiez votre chocolat quand vous rêviez de licornes

Pardon de vous avoir habillés à la hâte, fermé vos fermetures éclair en grommelant

Pardon d’avoir été angoissé au moindre bruit de vibreur du mobile dans ma poste de veste

Pardon de ne pas avoir écouté vos questions si curieuses et répondu de travers

Pardon de ne pas m’être retourné quand vous me disiez au revoir de vos petits bras

Pardon de ne pas avoir été le meilleur papa sur le chemin de l’école…

Mais je me souviens de vos petites doigts dans mes mains

Je me souviens de vos tourbillons, de votre liberté et vos sauts désordonnés sur le trottoir

Je me souviens de vos rires en cascade et de vos dialogues étranges et secrets de petits grands

De vos embrassades maladroites les bras en l’air

De vos rires innocents, de vos voix sucrées

De vos mots avant de passer le porche de l’école :

“Au revoir Papa, on est dans ta poche on est dans ton cœur.”

Patrick Kervern

Il fait les voiles pour que le vent…

CÉSAR : Mais s’il veut naviguer, qu’il navigue, bon Dieu ! Qu’il navigue où il voudra, mais pas sur l’eau !

ESCARTEFIGUE : Mais alors, où veux-tu qu’il navigue ?

CÉSAR : Je veux dire : pas sur la mer. Qu’il navigue comme toi, tiens ! sur le Vieux-Port. Ou sur les rivières, ou sur les étangs, ou… et puis nulle part, sacré nom de Dieu ! Est-ce qu’on a besoin de naviguer pour vivre ? Est-ce que M. Panisse navigue ? Non, pas si bête ! Il fait les voiles, lui ! Il fait les voiles pour que le vent emporte les enfants des autres !

Marcel Pagnol (Fanny)

La banquette arrière du bonheur

C’était une présence constante, des bruits, des disputes, des “quand est-ce qu’on arrive ?”, des “rends lui son livre”, des “Il reste des gâteaux ?” des “Tom a encore renversé l’eau”.

Il y avait des rires toujours, des pleurs parfois, des cris souvent, la banquette arrière n’était jamais calme.

Même séparés par des sacs, les disputes étaient fréquentes, les siestes légères, il y avait une barre d’enfant, des boules de vie. C’était le bonheur sur la banquette arrière.

C’était aussi le refuge improbable de papiers de bonbons, de matières indéfinissables collant aux poignées de portes, de foin du cochon d’inde, de BD déchirées et surtout des miettes, des miettes et des miettes.

La banquette arrière a trois vies, le siège bébé, le rehausseur, puis plus de rehausseur…Et puis un jour, vous vous retournez et Il n’y a plus personne sur la banquette arrière.

Ce jour là vous vous rendez compte que vous remplaceriez sans aucun état d’âme votre nouvelle banquette arrière rutilante et aseptisée qui sent désespérément le vide et la voiture neuve contre tous les bonbons écrasés, les grappes de rires, les cris et les miettes…

Les miettes de bonheur de la banquette arrière…

Patrick Kervern