Renoncer est un mot pesant, dense, important. C’est un mot qui fait fuir ou revêtir la cape – bien pratique- de la pensée magique et de l’indifférence.
Autrefois renoncer s’appliquait aux rois, aux religieux et aux successions. C’était un acte porteur de sens et lourd de conséquences. Souvent c’était un acte lucide et éclairé. Un acte habité par les limites. Les limites personnelles et collectives.
Qu’est-ce qu’un protocole de renoncement ? C’est une stratégie menée par une organisation publique ou privée dans le but d’aligner ses activités sur les frontières planétaires.
Aujourd’hui, les limites planétaires, la perte alarmante de biodiversité et l’accélération du dérèglement climatique imposent aux États, aux entreprises et aux particuliers de réfléchir sans masques, faux semblants et indifférence à nos protocoles de renoncement.
Car quand tous les verrous sautent. Les limites font un bruit assourdissant. Nous sommes entrés dans des temps inquantifiables.
Mais, dans une société qui n’a renoncé à rien et surtout pas à l’hubris et au ridicule, limite est un mot qui fâche. Et dans une fuite consumériste qui s’apparente de plus en plus à de l’escapisme, le renoncement fait figure de rite perdu. Un mythe dont on a perdu le sens.
En bref, le bruit joyeux de l’orchestre du Titanic masque les premières conversations de renoncement pour les aplatir au niveau de murmures. Et pendant que la fanfare joue, l’hypercapitalisme le plus cynique prépare ses prochains produits comme l’air pur à 10.000$ la bonbonne.
Il va falloir renoncer, faire le tri de la vérité et de la valeur dans nos modes de vie. Un nouveau type de tri sélectif, peut-être le plus difficile. Être un « good ancestor » aujourd’hui impose de renoncer.
Mais à quoi saurons nous renoncer ? Quel CEO démarrera sa prochaine réunion par cette question vertigineuse : quels sont nos protocoles de renoncement ? Quelles familles suivent la préconisation de Jancovici de 4 voyages aériens dans une vie ? Qui acceptera de ne pas se ruer sur le dernier iPhone quand on sait que 90% de nos smartphones remplacés sont encore en parfait état de marche ?
Et dans la finance, qui aura le courage ou la dignité de flécher l’argent vers des protocoles de renoncements ?
Dans quelques années pourtant, renoncer ne sera plus un acte courageux, ce sera un acte réaliste. Un acte nécessaire.
Peut-être que l’une des phrases les plus banales dans un futur de plus en plus proche sera : quel est ton protocole de renoncement ? Et l’une des sources de richesse intérieure sera d’être capable de dire et d’expliquer à nos enfants, à nos salariés, à nos actionnaires, à nos clients ce à quoi on a renoncé et pourquoi.
Eric Duverger de la Convention des Entreprises pour le Climat m’a confirmé récemment l’importance du sujet chez ses membres, même s’il admet qu’à part quelques renoncements salutaires chez Mustela et Renault Trucks, les protocoles de renoncement demeurent encore une Terra Incognita dans les entreprises.
Il va nous falloir découvrir la beauté du renoncement. Une beauté difficile mais une beauté lucide. Une manière juste de voir le futur et de lui donner un sens.
Dans le podcast sismique de Julien Devaureix, Alexandre Lacroix de Philosophie Magazine faisait le constat qu’aucun dirigeant ne présentait aujourd’hui de plan stratégique sans croissance. Et il a tristement raison, l’enjeu est de taille, l’infrastructure fossilisée du « Non Renoncement » paraît aujourd’hui bien plus solide que nos limites planétaires. Il est tellement plus facile dans nos foyers, dans nos entreprises et nos collectivités aujourd’hui d’être additifs que soustractifs. « Quels sont tes KPI de renoncement » est encore aujourd’hui, dans 99% des entreprises – a fortiori cotées- une question lunaire…
Car les protocoles de renoncement posent des questions vertigineuses que l’orchestre du Titanic, particulièrement la section cymbale, a renoncé à envisager : à quel rythme peut-on, doit-on changer ? Quelles sont les coercitions acceptables d’un protocole de renoncement dans une démocratie ? Quels arbitrages entre les enjeux sociaux et écologiques ?
Il va nous falloir réfléchir à tout ce qui fait obstacle aux renoncements inéluctables. Nos temporalités (politiques et économiques), nos habitudes, nos indifférences et nos lâchetés. Sans oublier nos résistances publiques et privées.
La vérité est que nous n’avons pas besoin de plus de choix nous avons besoin de moins de besoins.
Il va aussi falloir inventer un arsenal juridique et des concepts législatifs à la hauteur de nos renoncements.
Le vrai danger est qu’à plus ou moins long terme, à force de ne renoncer à rien, on soit forcé de renoncer à tout.
Le travail de renoncement est un travail difficile car c’est un travail de deuil. Peu de gens sont prêts à changer de société, même quand elle est factice et non soutenable.
Aucune victoire n’est à la hauteur d’un renoncement nous expliquait le philosophe Raphaël Enthoven il y a quelques temps. Il va falloir dans les prochaines années prendre les mesures de nos limites physiques mais aussi de la hauteur pour accepter des pertes.
Des pertes d’un nouveau genre.
Des pertes qui nous reconstituent.
Pour plus d’information je vous recommande les vidéos de Diego Landivar, père du sujet en France.