Laurence Larvor (YourValue) : comment les entreprises peuvent-elles donner du sens à leurs collaborateurs ? - Umanz

Laurence Larvor (YourValue) : comment les entreprises peuvent-elles donner du sens à leurs collaborateurs ?

Laurence Larvor (YourValue) : comment les entreprises peuvent-elles donner du sens à leurs collaborateurs ?

Le sens au travail est un sujet brûlant d’actualité et une demande forte des collaborateurs. La demande de sens a même dépassé celle des hausses de salaires.

Comment, dans cette période marquée par l’incertitude, les entreprises peuvent-elles donner ou redonner du sens ?

Umanz a interrogé Laurence Larvor, CEO et fondatrice du YourValue

Umanz- Quelle est la situation du « sens au travail » aujourd’hui ?

Laurence Larvor : Jamais le sens au travail n’a été aussi important dans notre société actuelle. Beaucoup d’observateurs parlent même « d’une crise de sens au travail ». 

De quoi parle-t-on exactement ? « Le sens au travail » est-il une notion individuelle ou collective ?

Pour certains, « donner du sens au travail », est une pratique managériale. Le sens est alors compris comme une direction, une finalité, une vision, un cap. 

Pour d’autres, le sens est un processus individuel, voire intime, auquel l’organisation n’aurait pas accès au-delà de l’organisation du travail, puisqu’il serait associé aux valeurs et motivations personnelles.

D’après l’étude en ligne menée par le cabinet Deloitte, auprès de 2329 personnes (20171).

 

 

Pour 85% des personnes interrogées, exercer un travail qui a du sens pour soi est essentiel, c’est une notion individuelle.  63% déclarent que le sens doit être donné par le manager.

Le sens au travail est un processus permanent d’équilibre entre ses aspirations, ses valeurs, son environnement, ses besoins, et le contenu de son travail

En psychologie, ce qui a du sens est associé à une expérience empreinte de cohérence, de consistance, d’équilibre, voire de complétude. Cette notion est aussi associée à la raison d’être et de vivre. 

Dans cette perspective, le sens du travail serait tributaire de la cohérence entre la personne et le travail qu’elle accomplit, ses attentes, ses valeurs et ses actions quotidiennes.

Dans cette même étude, on peut constater que le sens s’est dégradé pour 55% des personnes interrogées. 

Le sens se dégrade, alors que le besoin de sens est très important : près de 60% des personnes déclarent que le besoin de sens est de plus en plus important (source étude de l’agence de communication Wellcom 2019 2).

Il y a fort à parier qu’avec la crise du Covid, ce besoin de sens se révèle encore plus fort.

De plus en plus de personnes questionnent le sens dans leur travail.

Seulement 13% de la population française active est engagée activement avec enthousiasme dans son travail (source gallup 2018).

Le marché de la reconversion est en plein explosion depuis une quinzaine d’années.

9 français sur 10 rêvent d’une reconversion professionnelle, pour trouver un job qui a plus de sens pour eux³

Plus étonnant encore 66% des 20-29 ans rêvent déjà d’une reconversion !

Ils sont prêts à faire passer la quête de sens, devant la rémunération, (70% d’après le sondage Opinion Way – fev 2020). 

Le besoin de sens est la première raison de changement : 53% déclarent quitter leur job pour trouver un travail plus en phase avec leurs valeurs (Sondage en ligne, nouvelle vie professionnelle). 

La crise du Covid a encore accéléré le mouvement avec ceux qui ont réalisé que leur job n’avait pas de sens ou d’utilité, et ceux qui se sont retrouvés en première ligne, et qui ont révélé à la France entière, l’utilité de leur job.

Les entreprises ont bien compris l’enjeu de définir un cap, un sens collectif. Une étude publiée par le BCG en 2019 indique que 2/3 des membres de comités de direction interrogés font de l’expression de leur « Raison d’être » (purpose) un enjeu stratégique. Elles sont dans l’impérieuse obligation d’attirer, de fidéliser et d’engager leurs talents. Est-ce qu’elles ont pris la mesure de donner du sens à titre individuel ? Ce n’est pas évident. 

Umanz- En période de crise, le sens est-il un luxe ?

Laurence Larvor : Est-ce que la crise remettra en question cette tendance profonde ? Je ne le crois pas et je pense même le contraire, la crise va accentuer le mouvement. C’est justement au cœur de la crise qu’il faudra remobiliser, engager les troupes, communiquer encore plus, le sens de l’action commune et individuelle.

Redonner du sens pourra ressembler pour certains, à sauver leurs entreprises ou leurs jobs, pour d’autres à se réinventer, rebondir dans un autre métier… dans tous les cas, nous avons pris conscience de notre vulnérabilité et que nous pouvions passer à côté de l’essentiel.

Autrefois pour faire connaissance, la première question était « D’où venez-vous ?», aujourd’hui cette question est devenue « Que faites-vous » ? Exercer un « job qui est un non-sens » ne peut être viable sur le long terme, à moins de se déprécier, de faire peser des risques importants sur sa performance dans l’entreprise, et également sur sa santé, risquer de tomber en burn-out.

Je l’ai observé dans mon métier de manager et d’executive coach, on ne peut pas « tenir » et « subir » longtemps un job qui n’a pas de sens pour soi.

Le travail est devenu trop central dans la vie des gens, il est quasi identitaire. Lorsqu’une personne est alignée avec ses talents, ses valeurs, elle décuple son énergie, son impact, et … sa réussite.

Malgré la période de confinement et de début de crise, ces personnes ont retrouvé un job qui a du sens pour elles, en seulement 2 mois et demi !

Ceci est vrai aussi pour l’entreprise, un salarié aligné avec ses valeurs est plus performant. Selon le Human Capital Institute (2010), le « retour sur salaire » d’un salarié activement engagé est de 120% (pour chaque euro de salaire le salarié apporte une valeur ajoutée de 1,20 €), celui d’un collaborateur moyennement engagé est de 100% (pas de valeur ajoutée), tandis que celui d’un collaborateur activement désengagé est de 60% (l’employeur perd 40 centimes d’€ pour chaque euro de salaire). Les premiers font gagner de l’argent à l’entreprise, tandis que les derniers représentent une perte nette ! 

Aucun doute, les entreprises ont besoin de motiver leurs troupes. Mais personne n’est longtemps motivé par des objectifs individuels, égocentriques. Trop d’entreprises sont uniquement centrés sur : battre des concurrents, gagner des parts de marché, faire plus de profit, et ne servent pas de véritable projet. 

« Le profit est comme l’air que nous respirons, nous avons besoin d’air pour vivre mais nous ne vivons pas pour respirer » (Reinventing organizations), Frédéric Laloux.

L’objectif alors de l’entreprise est de servir un projet pas uniquement de faire du profit.

S’il n’y a pas de cap, pas de sens, l’entreprise se disperse, les énergies ne sont pas focalisées, et on perd en efficacité. 

Linkedin a mené une étude auprès de 26 000 personnes, cette étude démontre que les personnes qui ont du sens dans leur travail performent mieux que les personnes qui travaillent uniquement pour des raisons de rémunération ou juste de réussite personnelle.

Je cite, l’executive Chairman et co-fondateur de LinkedIn, Reid Hoffman :

« Les entreprises qui comprennent l’importance croissante d’une mission dans le paysage professionnel actuel améliorent leur capacité à attirer de tels employés et aussi leur capacité à les garder plus longtemps ». 

A l’occasion de l’adoption de la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en avril 2019, plusieurs dirigeants d’entreprise ont publiquement placé leur politique de responsabilité d’entreprise au cœur de leur stratégie. La MAIF, Danone, Carrefour ou encore Orange figurent parmi les grandes entreprises françaises qui ont accéléré leur engagement sur ce chantier politique devenu un chantier stratégique. 

Umanz – Comment les entreprises peuvent-elles faire sens pour leurs employés ?

Laurence Larvor : Les entreprises qui donnent du sens, ont l’art de conjuguer à la fois le sens intrinsèque, « la raison d’être et l’utilité de mon job » à celle, du sens extrinsèque « La raison d’être, l’utilité de mon entreprise ».

En d’autres termes, la question est de répondre à un double pourquoi :

 

  •  POURQUOI L’ENTREPRISE EXISTE ?

 

Quel est le projet de mon entreprise, quelle est la raison d’être de mon entreprise ? En quoi mon entreprise contribue à un monde meilleur. Cette question est encore plus centrale aujourd’hui dans le monde post-Covid qui est devenu le nôtre. Les critères RSE deviennent de plus en plus centraux dans cette raison d’être.

Mais attention à l’artifice marketing, la raison d’être doit être prouvée au quotidien et les valeurs affichées doivent être réellement vécues par les collaborateurs, au risque de produire l’effet contraire. C’est pourquoi, il est fondamental d’engager les collaborateurs dans le processus.

 

  • POURQUOI MON JOB EXISTE ?

 

En quoi mon job est utile ? Certes je suis un maillon d’une chaîne de valeur, mais je dois comprendre en tant que collaborateur quelle est la finalité de ma mission.

Ainsi, un travail qui a du sens pour un collaborateur doit présenter les caractéristiques suivantes. 

En premier lieu : l’utilité du travail. 

Faire quelque chose qui est utile aux autres ou à la société, et dans ce domaine, toutes les hiérarchies de sens sont possibles, ce n’est pas obligatoirement « être médecin » ou « sauver le monde », c’est apporter sa pierre à une cause plus grande que soi, qui peut être une contribution même modeste.

Le manager peut aider le collaborateur, même le plus modeste à prendre conscience de l’utilité de son travail.

Ex : ce CEO d’un grand groupe s’adressant à un préparateur de palette de produits à destination des USA, lui a fait prendre conscience de l’importance de son job « Tu vois… grâce à cette palette, grâce à toi, nous allons conquérir les US ». 

Ou encore l’interview de l’homme de ménage de Space X, l’entreprise d’Elon Musk qui a pour objectif de nous envoyer sur Mars. A la question sur le sens de son métier, l’homme de ménage répond qu’il participe à la conquête de Mars. Le journaliste semblant un peu surpris par la réponse, l’homme ajoute : « oui, mon patron m’a expliqué que si je travaillais bien, que les écrans d’ordinateurs des ingénieurs étaient comme neufs chaque jour, que les bureaux étaient rangés et propres, que les bureaux étaient aérés et sentaient bon, les ingénieurs se sentiraient mieux, seraient plus créatifs et que donc, nous irions plus rapidement sur Mars, grâce à moi. Donc, je vous l’affirme, je participe à la conquête spatiale. »

Il y a là un champ à développer à grande échelle. Définir réellement l’utilité du job de chacun et ne pas se dire qu’elle va de soi.

Car en vrai, ce n’est évident pour personne, les métiers deviennent de plus en plus techniques (ex : UX designer, Product owner, Scrum master, …) quelle est la finalité de chaque job dans l’entreprise ? Chaque entreprise pourrait se poser la question en collaboration et intelligence collective avec les équipes, et définir une réponse.

Ne plus définir des « fiches de postes », mais des « fiches de sens ».

Les autres caractéristiques4 sont :

  • La rectitude morale : faire un travail moralement justifiable, autant dans son accomplissement que dans les résultats qu’il engendre ; 
  • L’ apprentissage et développement : faire un travail qui correspond à ses compétences, permet d’apprendre, de développer son potentiel et d’atteindre ses objectifs ;
  • L’autonomie : pouvoir exercer ses compétences et son jugement pour résoudre des problèmes et prendre des décisions qui concernent son travail ;
  • La qualité des relations : faire un travail qui permet d’avoir des contacts intéressants, des bonnes relations avec ses collègues et de l’influence dans son milieu ;
  • La reconnaissance : faire un travail dont les efforts sont reconnus et récompensés équitablement et pour lequel on reçoit le respect qu’on mérite.

Umanz- Quelle est votre vision du futur du sens au travail ?

Laurence Larvor : Je pense que nous sommes à la fin d’un modèle managérial, et d’un système de travail, très pyramidal, ses règles d’autorité, son système descendant est mis à mal. Aujourd’hui avec l’explosion des réseaux internes comme externes, les managés en savent davantage que les managers. Les managers et les RH ont de plus de plus de mal à fidéliser les jeunes talents qui n’ont pas peur de changer d’entreprises et deviennent de plus en plus volatiles. 

En termes d’objectifs de carrière, devenir « chef à la place du chef » n’est plus une fin en soi. D’après la tribune de Jacques Angot, professeur en leadership et management à l’école IESEG « Pour beaucoup gravir les échelons hiérarchiques ou obtenir un cdi n’est plus une fin en soi : 26% des jeunes affirment même ne plus être intéressés par ce type de contrat ».

Beaucoup d’initiatives ont été prises, en termes de QVT pour améliorer le bien-être, soi-disant le bonheur des salariés, mais en réalité l’entreprise ne traite pas le problème de fond : le management !

Le management actuel n’est plus adapté aux compétences actuelles des individus et surtout à la façon de travailler des jeunes talents. Il y a un décalage entre les techniques de management du 20ème siècle et les modèles de fonctionnement du 21ème siècle.

Pour moi, le manager de demain devient un neuromanager qui s’appuie sur les neurosciences pour adapter son style de management, et donner du sens à chaque collaborateur. 

Il mobilise ses ressources cérébrales pour faire évoluer les pensées, les émotions (l’émotion n’est plus bannie en entreprise), les comportements. 

Il donne du sens à ses collaborateurs, à un triple niveau : 

  • le projet d’entreprise, 
  • la contribution de l’équipe à ce projet, 
  • et le rôle de chaque collaborateur, un par un, dans ce projet, aujourd’hui et demain.

Pour aller plus loin dans l’évolution, ce nouveau manager exercera dans un système où la hiérarchie n’est plus un but en soi. Pourquoi pas en mode « self management » ? Il devient un partenaire exemplaire et inspirant.

Le pouvoir sera donné au plus près de ceux qui détiennent les tenants et les aboutissants et qui ont la responsabilité. L’ensemble des décisions ne doivent plus être traités dans des goulots d’étranglements hiérarchiques. 

Contrairement à ce que l’on pense, cette nouvelle autonomie devra être extrêmement encadrée pour fonctionner, ce n’est pas une entreprise libérée dans ce sens. Les processus de décisions, de résolutions de conflit par exemple seront extrêmement précis, et cadrés. Les rôles et les responsabilités clairement établis. Et ceci, bien plus que dans les entreprises hiérarchiques où tous les processus sont loin d’être clairs et respectés en réalité.

Ouvrons ensemble la nouvelle voie du management du 21ème siècle.


A propos de Laurence Larvor 

Forte de 28 ans d’expérience dans les métiers du marketing, du digital et du management, dans des grands groupes, PME et Start up, Laurence est devenue experte dans la compréhension des comportements humains et du monde du travail. Elle fonde YourValue pour donner un nouveau sens à sa carrière et contribuer à l’émergence de nouvelles pratiques de management.

YourValue est un révélateur et un connecteur de talents. Spécialisé dans le conseil stratégique l’outplacement innovant et les bilans de carrière, il accompagne les entreprises et les personnes dans leur recherche de sens au travail, via des outils en neurosciences, executive coaching et méthodologies issue de l’univers des start-ups. 


1 Etude menée par le cabinet Deloitte en 2017 auprès de 2329 individus. 34% ont entre 25 et 40 ans, 30% ont entre 40 et 50 ans, et 33% plus de 50 ans. 70% de cadres (dont 9% de cadres dirigeants), 30% de non cadres.

2 Etude menée par l’agence de communication sociale Wellcom oct 2019

3 Etude nouvelle vie professionnelle, site dédié à la reconversion et l’évolution professionnelle a mené une enquête en ligne du 15/03 au 19/05/19 auprès de 2086 actifs français. Ce sondage est représentatif de la population active française, âgée de 18 à 64 ans appartenant à l’ensemble des catégories socio-professionnelles (cadres, employés, artisans…) 

4 Selon le professeur Estelle M. Morin, professeur titulaire HEC Montréal.