Balance ton story telling : et si l'on parlait du narratif de soi ? - Umanz

Balance ton story telling : et si l’on parlait du narratif de soi ?

Un peu avant quarante ans et la très classique crise de milieu de vie, j’ai constaté que la plupart des gens poussaient d’étranges narratifs d’eux mêmes. 

Ces narratifs de soi étaient une manière pour eux de continuer à vivre et d’échapper à leurs propres contradictions.  La plupart étaient acceptables, d’autres pittoresques, certains étaient tout simplement inaudibles…Tout le monde avait un narratif, personne n’y échappait, même pas moi. 

Tout est une question d’intensité. Le problème est que ces narratifs de soi, si boursouflés au regard de la vie réelle de ceux qui les affichent, sonnent comme la pire vantardise. la pire excuse ou la farce la plus grotesque. Ce sont souvent de piteuses justifications des insuffisances, des faiblesses, de la vulnérabilité et des échecs qui jalonnent toute vie.

« Tu apprendras à tes dépens que le long de ton chemin, tu rencontreras chaque jour des millions de masques et très peu de visages. »

Luigi Pirandello

Alors pourquoi ces caches-misère ? Ces petites folies socialement acceptables pour éviter de voir la réalité en face ? Pourquoi ces vastes indulgences ? Pourquoi ces suspensions du jugement ? N’est pas t-on sensé croire ce que l’on raconte ? Comment garder un sens aigu de la décence ?

Ces accommodements viennent t-ils de notre facilité à adopter des croyances confortables ? Morgan Housel, célèbre VC et débusqueur aguerri de nos petits travers mentaux semble le penser.

“Les gens croient des choses qui ne sont pas vraies, qui ne sont que vaguement vraies, vraies mais improbables, ou vraies mais hors contexte . Faire autrement fait trop mal. Ils se racontent des histoires, trouvent des statistiques et s’entourent d’incitations pour que leurs croyances paraissent aussi réelles que possible.

Ils le font depuis toujours.”

C’est un premier élément de réponse.

Les victimes collatérales du narratif de soi

Car le narratif de soi n’est ni neutre, ni sans effet. La première victime des narratifs de soi est l’amitié. La seconde, l’estime. Car la tristesse des narratifs de soi indéfendables est qu’ils tuent la beauté des échanges qui étaient faits, jusque là, de sincérité et d’ouverture. Ce sont des court-circuits d’authenticité.

Parfois, le story telling est tellement hors sol qu’il ne peut être rempoté…Souvent, quand les grands professionnels du narratif de soi entrent en scène. Vous vous retenez de hurler « C’est n’importe quoi ! » . Et dans ce cas, êtes vous lâche ? Ou plus modestement coupable de ce que Erving Goffman appelle l’aveuglement par délicatesse ?

Le narratif de soi comme colonne vertébrale

L’histoire de la psychologie montre pourtant que le narratif de soi reste est un fondement fort de l’identité, de la stabilité et de la construction de sens.

Selon les chercheurs Baerger et Mc Adamas, la capacité d’afficher une cohérence des histoires de vie génère des niveaux moindre de dépression et une satisfaction générale supérieure. La cohérence des narratifs influence aussi selon plusieurs études la qualité des relations.

Parfois malheureusement, le narratif frise l’autojustification mythomane. Mais à quel moment le narratif de soi devient-il faux ou intenable ?

Quand le narratif de soi déraille

Car il arrive que le narratif de soi,  nourri par l’envie et les comparaisons et dopé au mimétisme Girardien, prenne définitivement le pas sur la raison et, chez certains, déraille. 

Comme le constate amusé Rory Sutherland, publicitaire culte au UK et chroniqueur aigu de nos paradoxes contemporains:

“La raison n’est pas, comme le pensait Descartes, le département de recherche et développement du cerveau – c’est le service juridique et de relations publiques du cerveau ».

In fine, la force dévastatrice du narratif de soi n’est pas que l’on doive le défendre face aux autres, c’est qu’on doive le défendre face à soi. Une histoire permet parfois de donner sens au monde. Dans le narratif de soi, elle évite que le monde s’écroule.

Et c’est aussi son ultime paradoxe…le narratif déraille pour éviter l’accident. 

“C’est par le jeu de petits malentendus avec le réel que nous construisons nos croyances,nos espoirs-et nous vivons de croûtes de pain baptisées gâteaux, comme font les enfants pauvres qui jouent à être heureux.”

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité.