Ma famille, cette si belle entreprise.
On se choisit ou on se subit ?
En entreprise, que de fois n’ai-je entendu tel manager gémir qu’on lui a imposé ses collaborateurs, tel collaborateur se plaindre du départ de son ancien manager “qui était tellement bien alors que le nouveau, quelle catastrophe !”
Un point commun entre la famille et l’entreprise, c’est qu’on ne s’est pas choisis. Souvent, les enfants pestent qu’ils n’ont choisi ni leurs frères et soeurs ni leurs parents. En entreprise, c’est le cadre de fonctionnement qui nous permet de dépasser nos préférences relationnelles et de nous mettre au travail avec des objectifs, une répartition des rôles, des rites et rythmes…
De la même manière, le confinement obligatoire imposé par l’épidémie de Covid19 met à l’épreuve nos règles et notre cadre habituels et nous invite, en famille, à revisiter un mode de fonctionnement qui nous permette de cohabiter et de nous entendre.
Une des premières choses à faire, comme dans l’organisation, c’est de se projeter dans une action qui a du sens. Pourquoi vivons nous ce moment? À quoi il sert? Qu’est ce que nous visons en nous confinant? Et de se servir de cette vision partagée comme d’une boussole, à réactiver dans les moments de tension.
Comment gérer les moments communs ?
Ce qui me vient, c’est un parallèle avec la gouvernance partagée dans les organisations. Fonctionner en gouvernance partagée, c’est trouver un mode relationnel suffisamment respectueux de soi et de l’autre et définir ce qui relève du bien commun. Cela suppose de prime abord que chacun fasse le tour de ses besoins. Qu’est ce qui m’est absolument nécessaire pour répondre à mes besoins et me respecter moi-même? Pour certains, cela peut être d’avoir du temps pour soi, pour d’autres, c’est d’avoir un espace privé, pour d’autres encore, c’est d’avoir réalisé un certain nombre d’actions dans sa journée. De même qu’en entreprise, lors les entretiens managériaux, le manager interroge son collaborateur sur ses ambitions personnelles, ses besoins, ses envies, de même, en famille, il est important de pouvoir écouter chaque membre (parents y compris !) sur ses besoins essentiels pour la période du confinement. En se respectant soi et en acceptant de respecter l’autre dans ses besoins, nous créons pour soi et pour l’autre un sentiment de sécurité intérieure. Cela nous permet d’explorer une nouvelle forme de relation qui est une relation d’équivalence entre individus (je dis bien entre individus et non pas en tant que rôle, chacun, dans la famille continue d’agir en tant que rôle) à accepter de lâcher prise, de laisser advenir, de renoncer à ses idées au profit de celles qui servent davantage le collectif. En effet, cette relation d’équivalence gomme le réflexe de domination en privilégiant un pouvoir de (tous ensemble), plutôt qu’un pouvoir sur (les uns ou les autres).
Cette écoute des besoins individuels permet, paradoxalement, de faire exister un espace commun. En effet, dès lors que chacun se sait exister dans le collectif, chaque discussion n’a lieu, chaque décision ne se prend, qu’au regard du bien commun et non pas par intérêt particulier ou visée personnelle.
Comment apaiser les tensions ?
C’est précisément le fait d’interroger le bien commun qui permet d’éviter les tensions. Prenons un exemple : j’ai personnellement envie de disposer d’une heure de méditation le matin, mais c’est le moment où chacun débarque à tour de rôle pour prendre son petit déjeuner. Alors je recherche le moyen de respecter mon besoin et celui des autres. Cela peut être de changer de pièce pour ma méditation et opter pour un endroit qui ne soit pas un lieu collectif, cela peut être de changer d’heure, cela peut être également d’apprendre à méditer dans le bruit. Toutes ces solutions ne valent rien si elles ne sont pas partagées. Le dialogue est essentiel pour que chaque partie prenante puisse apporter sa pierre à l’édifice dans la recherche de cet équilibre entre les besoins de chacun et le bien collectif.
Comment trouver la bonne distance ?
Lorsque la crise surgit, dans l’organisation, il s’agit de faire face à l’incertitude et pour cela, il faut resserrer toutes les distances : créer de la solidarité et du partage, découper et cadencer les objectifs de manière à donner une visibilité court terme tout en maintenant une vision long terme, et adapter les efforts aux contraintes liées à l’incertitude de manière à renforcer notre endurance.
Chez soi, la tentation de repli se heurte à la cohabitation forcée, la vie d’avant est rattrapée par l’actualité, il n’est plus possible de se marier, ni de fêter un anniversaire, ni même d’organiser des funérailles. Elèves et professeurs multiplient les rendez vous manqués sur des outils technologiques qu’ils peinent à maîtriser.
La vie quotidienne est émaillée d’équations impossibles où notre déni révèle notre incapacité à nous réinventer à la vitesse de propagation du virus. Équilibre, place et temps sont déplacés.
Dans ce rapprochement contraint, comme en amour, la recherche de la juste distance est un tâtonnement quotidien.
Corinne Ejeil est Coach, facilitatrice et superviseure.
Spécialiste des pratiques de l’intelligence collective et de l’organisation apprenante, elle dirige l’Institut Concerto qui accompagne les personnes et les organisations dans leur croissance et leur transformation.