22.000 lettres… 50 ans d’amour passion…
Compagne de l’ombre, mais femme d’une vie, Juliette Drouet, “l’autre épouse” a aimé Victor Hugo pendant plus de cinquante ans. Dans son dernier Roman, “Juliette” paru chez Tallandier, Patrick Tudoret incarne à la première personne Juliette Drouet, amoureuse héroïque, parfois bafouée, de “son grand petit homme”. Une vie qui pose l’éternelle question “Aime t-on jamais trop ? ”
Patrick Tudoret a accepté de répondre aux questions de Umanz :
Umanz- Qu’il y a t-il d’unique dans l’amour de Juliette Drouet pour Victor Hugo ?
Patrick Tudoret : Il y a déjà cette durée assez prodigieuse pour cette époque – et encore aujourd’hui – cinquante ans, un demi-siècle d’amour fou, échevelé, parfois porté à l’extrême. Il y a ensuite, ce choix que Juliette a fait, avant de vivre cet amour au grand jour, d’être l’épouse de l’ombre de cet homme marié (mal marié, car sa femme le trompe avec un de ses plus proches amis (Sainte-Beuve), et se refuse à lui.) et célébré partout quand, comédienne courtisée, elle aurait pu facilement épouser un banquier amateur de théâtre, un Nucingen balzacien, qui lui eût assuré un train de vie princier. Il y a aussi cette fougue qu’elle mit toute sa vie à accompagner Hugo dans tous ses combats qu’il fussent littéraires ou politiques, je pense notamment à ceux qu’il mena avec ses fils et bien d’autres contre la peine de mort, pour l’abolition de l’esclavage, la liberté d’expression ou l’amnistie des communards. Lors du coup d’état de 1851 du futur Napoléon III, il faillit en perdre la vie et le dit plus tard dans une lettre écrite en exil : c’est Juliette qui l’a sauvé, elle qui parcourait inlassablement Paris pour lui trouver des asiles sûrs, faisait le guet sans relâche et allait aux renseignements. Il y a enfin cette évidence qui transparaît dans ses lettres, dans ses carnets de voyage (qu’elle tient à la demande de Hugo pour l’aider à étayer ses écrits.) : c’était une femme très vive, intelligente, douée d’une grande liberté d’esprit. Elle était bien autre chose qu’une vestale vouée au culte du “granthomme” et disait ouvertement à “Toto” ce qu’elle avait à lui dire (“Toto” et “Juju”, c’est ainsi qu’ils s’appelaient dans l’intimité…) Elle avait un vrai talent d’épistolière et sa fantaisie éclate à chaque page. C’est aussi cette liberté de ton, cette fantaisie, que je me suis attelé à rendre dans ce roman.
Umanz- L’amour du poète est-il à la hauteur de l’amour de Juliette ?
Patrick Tudoret : Certains esprits chagrins diront que non et insisteront sur ses lourds manquements. On sait bien que si Juliette fut loyale à leur “pacte d’amour”, lui donna pas mal de coups de canifs dans le contrat (notamment avec Léonie Biard avec laquelle il eut une longue liaison.) Elle l’ignora, puis l’apprit. Et à chaque fois qu’elle menaça de partir ou le fit – c’est comme cela que commence mon roman, avec une fuite éperdue à Bruxelles -, il en fut décomposé, brisé, comme ayant perdu toute force, mettant tout en œuvre pour la retrouver. Connaissant ses faiblesses, ne l’appelait-elle pas mon “Grand petit homme” ? Une chose est certaine : il l’a aimée plus qu’aucun autre homme ne saurait le faire pendant plus de cinquante ans… Ce titan de la littérature, de la vie politique, de ce XIXème en ébullition permanente, lui revenait toujours après ses errances. Il l’aimait d’un amour fou, profond, inaltérable et les lettres qu’il lui a lui même envoyées, les poèmes sublimes qu’elle lui a inspirés le disent mieux que tout. Sans elle, il n’était plus le même. Elle aura été sa boussole,
Umanz- L’histoire a fait passer Juliette pour une comédienne de second ordre. Vous tenez à rétablir la vérité ?
Patrick Tudoret : Il est certain que Mlle Juliette (car tel était son nom de scène comme, il y avait alors Mlle Mars ou Mlle George) n’a pas atteint, de loin, les mêmes sommets qu’une Sarah Bernhardt, une Rachel, une Réjane. Elle a bien été admise à la Comédie française, mais sans y jouer une seule pièce… Pourtant son renom, à un moment, a été assez considérable. Elle a joué dans les plus grands théâtres et avec les plus grands comédiens de ce temps. Une pièce intitulée… Juliette a même été écrite, inspirée par elle. Elle était courtisée par le tout Paris des Arts – peut-être plus pour sa beauté, il est vrai, que pour ses talents d’actrice… – et, une statuette à son effigie a même été commercialisée – on parlerait aujourd’hui de merchandising – qui s’est vendue comme des petits pains… Pour ce qui est de son jeu de scène, elle n’était sans doute pas d’une grande stature, handicapée par le trac et dotée d’une voix un peu faible. Elle-même d’ailleurs, avec l’humour qu’on lui connaît, ne se disait-elle pas acteuse…?
Umanz – Quels enseignements portent aujourd’hui la vie, la passion, le “Fol amour” de Juliette Drouet ?
Patrick Tudoret : Qu’une vie sans amour n’est pas digne d’être vécue. Comme le dira plus tard Bernanos : “L’enfer, c’est de ne plus aimer.” Aime-t-on jamais assez ? C’est une des questions que je pose dans ce livre. Autre enseignement corollaire : que l’on n’est rien sans l’autre, sans les autres, ceux grâce auxquels on grandit, grâce auxquels on devient, enfin, un peu soi-même. Ce fut le cas pour ce jeune écrivain prometteur, poursuivi par un parfum de soufre depuis le scandale d’Hernani, qui sans elle ne serait sans doute jamais devenu pleinement Victor Hugo. Elle fut sa muse critique, son amante, sa femme, son amie, sa complice en mille “forfaits” et mille combats. Dans notre époque bien moite où la médiocrité fleurit, ces deux-là font souffler le grand vent de la passion, de la poésie, du génie créateur, de la bénévolence sociale et politique. Cela fait au moins trente ans que leur histoire me bouleverse et la conter par le biais d’un roman est peu à peu devenu une évidence.