Deep State, Deep AI, Deep Learning, Deep Art, Deep Copy, Deep Dive, Deep Ecology, Deep Web, Deep Fake, Deepmind de Google….Le mot deep est dernièrement assaisonné à toutes les sauces.
Il porte souvent une lourde charge de mystère, de complexité, d’insondable. Il est aussi bizarrement plus élégant et séducteur que le mot profond. Un deep débile apparaît ainsi légèrement plus avantagé qu’un débile profond.
Le deep dit aussi quelque chose de notre époque.
Dans un entretien avec Thomas Friedman, mené par James Manyika du McKinsey Global Institute, l’auteur et célèbre journaliste au New York Times, constatait que le monde était passé en quelques années “de rapide, à plat, à profond.”
Mais d’où vient ce besoin de profondeur, est-ce la nécessité de s’enraciner face à un monde devenu fou ? Ou bien est-ce le besoin impérieux de se terrer de disparaître, de redevenir invisible dans une société où l’hyper transparence change tout le monde en data ?
Ne pas rester à la surface
Pour le Psychanalyste Michaël Stora, observateur aigu du monde digital et auteur de “Et si les écrans nous soignaient” aux Editions Eres, la vogue du deep répond, en miroir, au succès du slow dans un monde digital où tout reste en surface : “ Je ressens cette demande d’un univers plus profond, une certaine demande pour moins de superficiel qui se reflète par exemple par le besoin de mettre de plus en plus de mots sur les images d’Instagram pour les creuser et les contextualiser, mais aussi dans le succès des stories.”
Le deep serait donc un besoin de recréer des liens, une sorte de deeplinking du sens…”Un paradoxe, à une époque soumise à une intense contraction temporo-spatiale” ajoute Michaël Stora qui rappelle qu’en psychanalyse “notre arme c’est le temps et la profondeur”.
“La profondeur c’est l’histoire”
“Nous vivons en pleine époque accélérée du sans transition, du flux sur les réseaux sociaux. Or, la profondeur, c’est l’histoire : les stories sont un mécanisme qui marque la volonté de reconstituer une enveloppe narrative sur des moments décousus.”
“Le bébé en nous a besoin de cohérence, on a besoin de se raconter des histoires et au final le succès de Netflix avec son arc narratif long et profond permet d’échapper à la machine hypnotisante du flux d’actualité…Les long métrages sont devenus presque des instantanés par contraste…”
Le deep au final, c’est ce besoin de rêve qui nous permet de reprendre conscience du sens profond quand l’oedipe est l’objet tiers dans une relation duale, souligne Michael Stora qui conclut en appelant à “un partage des écrans”, ce lien manquant entre le digital et le physique, cette triangulation pour redonner du sens et de la profondeur à l’isolement numérique et ses bulles hermétiques.
“L’attention conjointe est un petit miracle qui se produit quand la mère et le bébé regardent dans la même direction. C’est une expérience fondatrice de la vie psychique.” conclut Michaël Stora.
Conjoint, regarder, attention, direction…Autant de pistes dans ce vertigineux appel du deep et des profondeurs.
Patrick Kervern @pkervern