Puisqu’il y a fainéant et fainéant qui forment contraste ? Il y a celui qui est fainéant par paresse et lâcheté de caractère, par la bassesse de sa nature, tu peux si tu juges bon me prendre pour un tel.
Puis il a l’autre fainéant, le fainéant bien malgré lui, qui est rongé intérieurement par un grand désir d’action, qui ne fait rien parce qu’il est dans l’impossibilité de rien faire, puisqu’il est comme en prison dans quelque chose, parce qu’il n’a pas ce qu’il lui faudrait pour être productif, parce que la fatalité des circonstances le réduit à ce point; un tel ne sait pas toujours lui-même ce qu’il pourrait faire, mais il le sent par instinct; pourtant je suis bon à quelque chose, je me sens une raison d’être, je sais que je pourrais être un tout autre homme. A quoi donc pourrais-je être utile, à quoi pourrais-je servir, il y a quelque chose au-dedans de moi, qu’est-ce que c’est donc ?
Cela est un tout autre fainéant, tu peux si tu en juges bien me prendre pour un tel.
Un oiseau en cage au printemps sait fortement bien qu’il y a quelque chose à quoi il serait bon, il sent fortement bien qu’il y a quelque chose à faire, mais il ne peut le faire, qu’est-ce que c’est ? Il ne se le rappelle pas bien : puis il a des idées vagues et se dit : « Les autres font leurs nids et font leurs petits et élèvent la couvée », puis il se cogne le crâne contre les barreaux de la cage.
Et puis la cage reste là et l’oiseau est fou de douleur.
Extrait de la Lettre de Vincent Van Gogh à Théo, Juillet 1880