Créer c'est vivre deux fois - Umanz

Créer c’est vivre deux fois

Il y a ainsi un bonheur métaphysique à soutenir l’absurdité du monde. La conquête ou le jeu, l’amour innombrable, la révolte absurde, ce sont des hommages que l’homme rend à sa dignité dans une campagne où il est d’avance vaincu. Il s’agit seulement d’être fidèle à la règle du combat. Cette pensée peut suffire à nourrir un esprit: elle a soutenu et soutient des civilisations entières. On ne nie pas la guerre. Il faut en mourir ou en vivre. Ainsi de l’absurde: il s’agit de respirer avec lui; de reconnaître ses leçons et de retrouver leur chair. A cet égard, la joie absurde par excellence, c’est la création, «L’art et rien que l’art, dit Nietzsche, nous avons l’art pour ne point mourir de la vérité.» Dans l’expérience que je tente de décrire et de faire sentir sur plusieurs modes, il est certain qu’un tourment surgit là où en meurt un autre. La recherche puérile de l’oubli, l’appel de la satisfaction sont maintenant sans écho. Mais la tension constante qui maintient l’homme en face du monde, le délire ordonné qui le pousse à tout accueillir lui laissent une autre fièvre. Dans cet univers, l’œuvre est alors la chance unique de maintenir sa conscience et d’en fixer les aventures. Créer, c’est vivre deux fois.

 

Albert Camus (Le mythe de Sisyphe)