Elisabeth Laville a créé en 1993 UTOPIES, la première agence de conseil spécialisé en développement durable et première B Corp Française.
Utopies, toujours indépendante, vient de passer le cap des 50 employés.
Elisabeth Laville a accepté de répondre aux questions de la Umanz Interview :
Umanz- Présentez-vous sans utiliser votre titre ?
Elisabeth Laville : Elisabeth Laville, j’ai créé il y a 25 ans UTOPIES, qui est à la fois un think tank et un cabinet de conseil sur les stratégies de développement durable dans les entreprises.
D’abord constituée sous forme associative, UTOPIES s’est donné depuis ses débuts une vocation militante consistant à promouvoir les idées de citoyenneté d’entreprise, de RSE et de développement durable dans les consciences des dirigeants d’abord, et dans les pratiques des entreprises ensuite.
La combinaison entre think tank et cabinet de conseil est fondamentale, car dès le départ notre objectif a été de faire avancer le mouvement des entreprises à impact positif, et de rendre cette idée tangible avec des exemples concrets, inspirants, qui ouvrent le champ des possibles.
Nous avons été les premiers et longtemps seuls sur ces sujets au début des années 90, mais fort heureusement aujourd’hui nous avons beaucoup de concurrents – ce qui à la fois crédibilise notre propos et nous pousse à être meilleurs, plus intelligents, plus créatifs, plus pertinents.
Umanz- Que vouliez-vous faire quand vous étiez petite ?
Elisabeth Laville : J’ai hésité à faire des études de médecine, sans doute parce que je recherchais à faire quelque chose d’utile, mais j’avais un peu peur d’être trop émotive dans les situations personnelles et familiales extrêmes. Finalement, après HEC, travailler au planning stratégique dans la publicité auprès de grands noms comme Philippe Michel (qui pensait comme moi que les marques peuvent changer le monde) m’a donné envie d’intervenir plus en amont, au moment où se définissent la mission de la marque, l’utilité sociétale de ses produits et services, etc..
Umanz- Qu’est-ce que vos parents vous ont appris ?
Elisabeth Laville : Familialement je suis un mélange plutôt heureux, je crois, de l’optimisme marseillais et de la résilience des pieds-noirs d’Algérie, qui sont aussi des gens du Sud, assez joyeux. Cela me donne une capacité, parfois déconcertante pour mon entourage, à voir comme le disait Churchill “les opportunités dans les difficultés”.
Umanz- Quel est votre meilleur moment professionnel ?
Elisabeth Laville : Je ne peux m’empêcher de me dire que les plus beaux moments professionnels sont à venir… Mais il y a eu de très beaux moments dans les 25 ans écoulés, des fous rires en réunion et des projets qui ont généré des changements profonds. Quand en 2008 j’ai reçu, la même année, le prix Veuve Cliquot et la Légion d’honneur j’ai été très heureuse, tout à la fois pour pour l’équipe et pour ma famille, car cela représentait une forme de consécration de ce qu’Utopies avait apporté durant ses 15 premières années, et en particuluer de notre contribution à faire émerger le sujet du développement durable dans les entreprises.
Umanz- A quoi avez-vous renoncé ?
Elisabeth Laville : André Gide écrivait que « choisir, c’était renoncer » – du coup je n’ai pas l’impression d’avoir fait des renoncements car d’une certaine façon ils étaient avant tout des choix. Par exemple j’ai eu ma fille assez tard, à 40 ans.
Umanz- Que feriez-vous si vous deviez changer de métier ?
Elisabeth Laville : Tout ce qui a trait à une vision différente de l’éducation et à l’alimentation ou aux modes de consommation m’intéresse énormément. J’essaye d’agir dans ces domaines à travers les initiatives Campus Responsables et Mes Courses pour la planète.
Umanz- Quelle leçon de vie aimeriez-vous transmettre à votre fille ?
Elisabeth Laville : C’est en cherchant la voie qui te correspond intérieurement que tu auras l’action la plus juste dans le monde. Une idée que Thomas D’Ansembourg développe de manière très précise et qu’il appelle « l’intériorité citoyenne ». Il est important de dire à nos enfants que non seulement c’est possible mais qu’en plus c’est amusant à vivre.
Umanz- Une lecture qui vous a bouleversée ?
Elisabeth Laville : Le livre d’Anita Roddick “Business as unusual” que j’ai d’ailleurs traduit en français, quelques années plus tard. Il m’a appris que vous pouvez agir dans le monde tout en restant absolument fidèle à vous-même.
Umanz- Qu’est-ce que vous ne savez pas ?
Elisabeth Laville : Plein de choses, c’est d’ailleurs mon principal moteur, celui qui fait que je m’amuse encore dans mon métier après 25 ans sur les mêmes sujets – on apprend tous les jours, en se confrontant à des secteurs nouveaux, à des problématiques nouvelles…
Umanz- Qu’avez-vous appris cette année ?
Elisabeth Laville : Que quelle que soit la situation ou le sujet, la logique binaire (celle du OU) est stérile et enfermante … Et qu’il vaut bien mieux, toujours, épouser le génie du ET, même si cela n’est pas facile.
Au niveau d’UTOPIES, par exemple, nous sommes confrontés à cela avec une croissance rapide : nous avons souvent, en même temps et parfois sur un même sujet, de vrais motifs de satisfaction ET des points de progrès manifestes. C’est ce qui fait l’intérêt de l’aventure et c’est l’art délicat du management de partager ces nuances avec les équipes, d’arriver à la fois à se réjouir du verre à moitié plein sans oublier aussi de voir, de manière très lucide, en quoi il est aussi à moitié vide.
Umanz- Qu’est-ce qui vous inquiète ?
Elisabeth Laville : Pas grand-chose au fond. Comme le disait Voltaire, j’ai choisi d’être optimiste car c’est bon pour la santé… ce qui n’empêche pas d’être réaliste et de voir le chemin qui reste à parcourir, les obstacles sur la route, etc.
Umanz- Justement qu’est-ce qui vous rend optimiste ?
Elisabeth Laville : Florence Servan-Schreiver raconte que l’optimisme est conditionné par différents facteurs – 50 % sont déterminés par le fameux gène 5-HTT et 10 % dépendent des éléments extérieurs tels que l’environnement, les événements, le quotidien. Restent 40 % sur lesquels nous pouvons agir par la façon dont nous interprétons ce qui survient – en l’occurrence j’ai choisi de voir positivement la façon dont les sujets de développement durable progressent dans les entreprises, et il est vrai que par mon métier je suis davantage exposée aux solutions qu’aux problèmes, je rencontre des entreprises et des acteurs qui veulent agir plutôt que ceux qui préfèrent ne rien faire. En 25 ans les choses ont énormément bougé, quand même…
Umanz- Quelle est votre phrase préférée ?
Elisabeth Laville : Winston Churchill encore : “Il vaut mieux prendre le changement par la main avant qu’il nous prenne à la gorge“ !
Umanz- Comment voyez-vous le futur des marques durables?
Elisabeth Laville : Je trouve positif qu’on soit passé d’un discours corporate à un discours sur les marques, au sens noble du terme. Je pense qu’on touche ainsi plus aux produits, à l’innovation, au business model… et au « brainprint », à l’influence que les marques ont sur les modes de vie, sur les normes sociales, etc. On peut se réjouir ou s’affliger de cette influence, mais autant l’utiliser comme un levier de changement positif en renvoyant les marques à leur responsabilité. Comme le dit cette citation attribuée à …Spiderman, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ! »
Umanz : Quelles sont vos utopies non encore réalisées ?
Elisabeth Laville : Au fond celle pour laquelle UTOPIES existe … reste encore à accomplir : l’intégration réelle des considérations sociales et environnementales aux stratégies business des entreprises, au-delà de quelques cas emblématiques comme Patagonia et Interface. Cette intégration parfaite, et le fait pour l’entreprise d’avoir une contribution positive à la société, c’est un objectif qui recule toujours devant celle ou celui qui s’y attèle mais c’est aussi ce qui le ou la fait avancer … C’est d’ailleurs cette idée qui m’avait poussée à choisir ce nom d’UTOPIES !
Biographie d’Elisabeth Laville :
Diplômée d’HEC en 1988, Elisabeth a passé quelques années au planning stratégique de deux agences de publicité avant de créer Utopies en 1993. Elle est depuis reconnue comme l’une des expertes européennes du développement durable, a reçu le Prix Veuve Clicquot de la Femme d’Affaires de l’année en 2008 et a été faite Chevalier de la Légion d’Honneur cette même année. Elle est l’auteur du best-seller « L’entreprise verte » et de plusieurs autres ouvrages. Elle siège au Conseil d’Administration de Nature & découvertes et de plusieurs ONG ou fondations (dont Unis-Cités et la Fondation Monoprix).