François Miquet-Marty (VGBN) : “retrouver les vérités qui étreignent” - Umanz

François Miquet-Marty (VGBN) : “retrouver les vérités qui étreignent”

François Miquet-Marty est l’auteur de Réinventons le progrès aux éditions de L’Aube c’est aussi le co-fondateur de VGBN Conseils (fédérant notamment Viavoice et le centre de prospective Global Center for the Future), dédié aux stratégies d’entreprises et à la conception de liens nouveaux avec la société.

Il a accepté de répondre aux questions de Umanz  :

Umanz- Que manque t-il au progrès et pourquoi ne parle t-on plus de futur ?

François Miquet-Marty : D’une certaine manière, l’idée du futur est moins présente et cela depuis 2008 et la crise financière. Or, c’est le cœur de notre affaire. En France, cette idée de progrès, en donnant à la collectivité humaine les moyens de construire le futur a été, depuis la Révolution française, consubstantielle à notre histoire. Ce récit de construction collective des futurs s’est poursuivi avec l’école de la République jusqu’aux grandes orientations économiques du Général de Gaulle (la sécurité sociale, le nucléaire) offrant toute une matrice d’outils pour préparer le futur. Mais ce récit ayant fait long feu, et depuis quelques années l’idée d’innovation. s’y est substituée.

Mais ces innovations technologiques on les projette sur une société clivée, aux visions différentes car beaucoup de gens voient désormais les innovations comme une menace.  Je pense que réinventer l’idée de progrès est indispensable pour sauver le monde. D’où l’idée de notre livre collectif : Réinventons le progrès !

Umanz- Quelles tendances voyez-vous émerger post-pandémie ?

François Miquet-Marty : Je constate une accélération de ce que l’on a vécu avant. Avec deux tendances majeures : une accélération des vagues d’innovations (5G, 6G, Internet des objets, ordinateur quantique, NanoTechnologies, BioTechnologies, etc.) et, parallèlement, une accélération des diffractions sociétales dans une réalité qui se révèle encore plus violente que la “société de l’archipel” que l’on découvrait il y a quelques années.

Aujourd’hui, le pari que l’on peut faire c’est que les grandes innovations seront acceptées par une seule partie de la société, mais susciteront également de fortes oppositions de la part d’autres parties de la société. Le contexte de la pandémie a fait qu’une partie des Français se sont refocalisés sur l’harmonie humaine et la recherche de sens, questionnant la raison d’être de l’innovation technologique.

Umanz- De quelles innovations humaines la société a-t-elle besoin ?

François Miquet-Marty : Il y en a une à mon sens fondamentale, c’est l’idée du lien. J’ai été frappé lors de l’enquête sur l’un de mes précédents livres, Les nouvelles passions françaises (Michalon, 2013), par les récits des Français. J’étais allé écouter beaucoup de gens raconter leur vie et dans ces rencontres, ce qui m’a particulièrement marqué c’est l’idée d’abandon qui prévalait. Une partie des gens, même en couple, se sentaient abandonnés. Précisément, c’est la qualité du lien avec les autres qui était affaiblie et mise à mal.

Or, nous sommes plus que des êtres humains, nous sommes aussi des personnes en société. Le constat c’est qu’aujourd’hui, on ne sait plus à qui parler de ses difficultés. Le désir de se mettre en scène positivement sur les réseaux sociaux n’est que la traduction, le pendant de ce mal-être.

On a perdu un lien essentiel celui de l’expression des vérités humaines que l’on confiait à l’autre alors que ce lien est l’alpha et l’oméga du vivre ensemble.

Umanz- Comment le sens au travail a-t-il évolué en 2021 ?

François Miquet-Marty : Ce qui est complexe dans l’idée du “sens au travail” c’est qu’ il y a 20 ans on ne posait pas cette question alors que le constat était peut-être déjà présent.

Il y plusieurs sujets dans le sens au travail :

Il y a la question sociétale, environnementale et humaine. Sur le sens, la finalité de son activité qui dépasse les missions des entreprises. Il y a aussi la raison d’être de son activité première qui pose la question de l’utilité personnelle. Il y a également l’alignement des valeurs qui pose la question de la résonance avec l’entreprise.

Puis vient la question de la reconnaissance : est ce que ma présence et mon identité sont reconnues par l’entreprise qui m’emploie. 

La question du sens au travail est donc polymorphe et les entreprises sont assez mal outillées pour y répondre. Et même si on aborde la mission, on n’aborde pas tous les registres du sens. Il y a souvent des trous dans la raquette.

Umanz- Face à la polarisation accrue, comment faire société demain ?

François Miquet-Marty : C’est une question difficile aux réponses complexes car « faire société » ne se décrète pas. Je crois profondément que le premier élément fondamental est le dialogue qui peut exister avec les autres. Dans certaines réunions de citoyens que j’anime, je constate que dès les premières phrases, des gens s’invectivent et se coupent la parole.

Or le dialogue et l’écoute sont essentiels et il s’apprend à l’école. Faire société c’est aussi redonner de la valeur à l’argumentation, l’écoute de l’autre et la valeur de sa parole.

Pour dézoomer un peu, je dirais que le dialogue ne va pas de soi et que c’est un combat dans la durée. C’est sûrement d’ailleurs une action mieux portée par les associations et les médias engagés.

Mais derrière l’épuisement du récit républicain que nous avons évoqué, il y a aussi une grande aspiration à faire ensemble, à se forger, à l’échelle nationale et locale un destin commun. Ce récit doit porter la reconnaissance de la personne humaine – plus que l’individu qui est un rêve abstrait. Il faudra se souvenir des leçons de Diderot : “L’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener”. Retrouver ce récit dont on a perdu l’idée et qui sera peut être porté demain, par les entreprises, les politiques ou qui sait, via d’autres canaux.

Nous assistons actuellement à une surenchère des confrontations et il est temps de refonder la vision des Lumières sur le savoir scientifique, le lien et la personne humaine. Cela passera par des réflexions collectives, et des projets communs sur ce que l’on souhaite véritablement transmettre à nos enfants.

Umanz- Quels conseils “non bullshit” donnez vous aux dirigeants cette année ?

François Miquet-Marty : Un sujet qui est fondamental est celui du travail dans la durée. Celui du long terme, 

Construire dans durée fonde le sens d’une société. Or la loi du marché est le court terme et la loi de la démocratie aussi. 

Refaire le lien social ne se fait pas en cinq ans. J’ai finalement de l’espoir que les associations seront capables d’offrir des réponses dans la durée face aux politiques tenaillés par les échéances.

In fine, ce qui fera bouger les lignes, ce sont les aspirations collectives des sociétés. Pour cela il faut retrouver le temps. Ce temps disponible qui s’est rétréci. Recréer le temps de raconter. Aller au-delà du tabou de la souffrance. Libérer la parole sur les sujets des vérités humaines qui étreignent.

Le long terme est une urgence de court terme.