J’ai adoré le confinement. Non, vraiment, je ne me souvenais pas que le travail pouvait être aussi simple. Mon job était devenu une télécommande, je redispatchais les emails, volais de calls en visios, crépitais sur les slacks. Je swipais les to Do’s et je cochais ma check-list.
Toute la friction humaine pesante du présentiel était invisibilisée.
Signes extérieurs d’engagement digital
Bien sûr cette année je faisais partie de ceux qui étaient du bon côté de l’écran, de ceux qui étaient du bon côté de la ville, du bon côté du sac Deliveroo.
J’étais déjà devenu experte en manipulation de symboles : Powerpoint, Keynote et tableaux croisés dynamique, Gatt Charts, Airtable, j’excellais dans les nouveaux signes extérieurs d’engagements sur Yac, Loom, Slack et Twilio.
Hacker le distanciel
Le regard concentré sur Zoom, le penché/impliqué, le scheduling de réponses de mails à des heures bizarres pour faire croire que je travaillais, pour brouiller les pistes. J’étais une slackeuse native du stack de la distance.
J’avais hacké le distanciel
Je pouvais travailler partout avec mon téléphone, j’avais laissé mon travail et mon employeur rentrer allégrement dans la maison, j’avais externalisé le cerveau dans mon pouce, j’étais presque en autopilote, je voguais mollement entre outils digitaux et journée distendue. Je m’enfonçais dans la présence de l’absence.
J’avais oublié le revers de la médaille : quand on consomme les autres comme image vous aussi vous êtes consommé comme image. Attention à ne pas devenir trop flou…J’avais oublié que ma performance, mon humanité, mon caractère, pouvaient être aussi invisibilisés dans le grand égalisateur digital.
Quand on ne produit plus, les signes extérieurs de contribution digitale apparaissent pour ce qu’ils sont : creux et sans saveur.
La pixellisation des âmes
A force de travailler sur des écrans plats, on devient lisse. Et le petit carré au fond d’un Zoom devient aussi remplaçable qu’un Pixel.
J’était devenu moi même un fond d’écran, j’aurai du méditer cette leçon de Scott Galloway
J’avais oublié que le travail était fait d’humains, j’avais oublié qu’on ne manage pas à coup de pouces, j’avais oublié que 90% des Apps étaient inutilisées au bout de trois mois.
J’avais oublié que les placards virtuels étaient les plus invisibles.
Cette année mon job était devenu une App, sans usage, sans DAU.
Léa M.
(NDLR : pour des raisons de confidentialité, le nom a été changé)