Elle vise aujourd’hui des bascules de marché plutôt que les ruptures de marché. Marie Ekeland, talentueuse VC de la French Tech a lancé 2050 un fonds de Capital Risque dédié à l’économie de demain.
Un fonds “skin in the game” puisque 2050 est un fonds Evergreen prévu pour durer 99 ans (2050 est la première société de gestion à être détenue par un fonds de Pérennité). Le fonds de Marie Ekeland et d’Olivier Mathiot propose également d’investir 10% de son capital dans des communs stratégiques sans objectif de rentabilité directe.
Croisée à l’occasion de l’édition 2021 de ChangeNow, Marie Ekeland a accepté de répondre aux questions de Umanz.
Umanz- Présente toi sans utiliser de titre ?
Marie Ekeland : Je suis curieuse et j’ai besoin de me sentir utile.
Umanz- Que voulais-tu faire quand tu étais petite ?
Marie Ekeland : En fait, je n’en avais vraiment aucune idée et c’était même devenu un problème.
Umanz- Qu’est-ce que tes parents t’ont appris ?
Marie Ekeland : L’empathie dans le sens de la compréhension des gens en face. Le soin de l’altérité avec la volonté d’apprendre des choses de l’autre, de ce qu’il est vraiment et non pas de son statut.
Umanz- Quel a été ton meilleur moment professionnel ?
Marie Ekeland : L’IPO de Criteo était de la joie pure. Mais l’un des moments fondateurs a été le lancement de France Digitale en juillet 2012. J’ai compris à ce moment là que je pouvais rassembler les énergies et les bonnes volontés d’une manière écosystémique, dans un but commun. C’est à ce moment que j’ai réalisé que la création d’un ADN collectif était possible.
Umanz- A quoi as-tu renoncé ?
Marie Ekeland : A la culpabilité. J’essaie en tout cas
Umanz- Que ferais-tu si tu devais changer de métier ?
Marie Ekeland : Aujourd’hui avec 2050, je fais vraiment ce que je suis et je ne ferai pas autre chose. Je me suis alignée.
Umanz- Quelle leçon de vie aimerais-tu transmettre à tes enfants ?
Marie Ekeland : Que ce soit eux qui cherchent leur place, pas celle que tout le monde leur assigne.
Umanz- Une lecture qui t’a bouleversé ?
Marie Ekeland : “Retour en terre” de Jim Harrison. D’une part parce que je constate qu’on souffre beaucoup de notre rapport à la mort. Il y a un message dans cette acceptation, ce choix de se remettre dans cette connexion. Et d’autre part à cause du lien à la nature. La nature me nourrit et je ne peux pas être qu’une urbaine.
Umanz- Qu’est ce que tu ne sais pas ?
Marie Ekeland : Je me rends compte que je ne saurai jamais rien. Le jour où tu dis que tu sais, tu es mort.
Umanz- Qu’est-ce qui t’inquiète ?
Marie Ekeland : Ce qui m’inquiète c’est l’isolement dans le divertissement, cette nonchalance est une forme de refuge dans les raisons artificielles de ne pas voir les choses. Elle vient souvent de la peur de se blesser. Les gens qui se réfugient derrière cette barrière factice ne s’ouvrent plus au monde. Ils sont comme dans une réalité mixte.
Umanz- Qu’est-ce qui te rend optimiste ?
Marie Ekeland : Je vois chaque jour l’effet que ça fait de trouver sa place. Quand tu commences à rentrer dans ce chemin là, tu n’en sors pas. C’est là que les rencontres nous remplissent. Elles tracent un chemin où il y a des actions possibles. Même si c’est parfois plus dur et qu’il faut s’ouvrir à sa vulnérabilité. Il y a une énergie et des liens humains qui portent plus loin.
Umanz- Quelle est ta phrase préférée ?
Marie Ekeland : Une phrase que mon père m’a souvent répétée : “Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises décisions. Il faut juste les prendre à temps.”.
Umanz – Qu’est-ce qui, selon toi, fait un bon VC ?
Marie Ekeland : C’est quelqu’un qui se connaît. Pour être un bon VC, il faut se connaître soi-même. Car au fond être VC c’est une allocation de temps.
Umanz- Chez 2050, quels types de dossiers recherchez-vous en particulier ?
Marie Ekeland : Nous sélectionnons les dossiers selon deux grands principes :
D’une part, des solutions œuvrant à la résolution de grands enjeux : nourrir, prendre soin du corps et de l’esprit, faire évoluer les modèles éducatifs et culturels favorisant un futur fertile, faire vivre et exploiter la terre de manière durable et développer l’économie de la confiance.
D’autre part, des solutions pouvant répondre à ces enjeux de manière systémique. Ces solutions émanent souvent d’organisations qui ont réfléchi à leur propre modèle d’entreprise (financier, social et environnemental).
Umanz – Avec 2050, quels communs allez-vous financer ?
Marie Ekeland : Les communs financés par 2050 sont les prolongements de notre vision écosystémique. Lorsque tu examines les chaînes de valeurs, tu te rends compte qu’il y a des nœuds essentiels dans les maillons de la chaîne. Or ces nœuds ne sont pas forcément des nœuds de business qui répondent à une maturité de marché ou une demande inassouvie. Ce sont pourtant des nœuds fondamentaux comme le savoir et la formation. Ils favorisent l’alignement.
Par exemple, on n’apprend plus le vivant aujourd’hui (lire à ce propos s’émerveiller et comprendre pour agir par Aïcha Ben Dhia). Il y a aussi les noeuds réglementaires qui favorisent l’applicabilité du droit et le restaurent dans son effectivité au service du bien commun (cf. l’association Intérêt à agir ).
Le troisième nœud est celui de la recherche, car souvent, on ne fait pas car on ne sait pas (cf. le green coding ou les modèles d’AI frugaux). Autant de nœuds et de communs autour desquels nous favorisons l’Open Data et la diffusion des outils en Open source.
Umanz – Un de vos axes d’investissement est l’économie de la confiance. Quels modèles vous inspirent dans le domaine ?
Marie Ekeland : Ce sont des modèles qui feront fondamentalement évoluer le système financier vers une société post-carbone. Il y a dans la blockchain et les crypto-currencies des modèles de gouvernance, d’initiative et de financement très inspirants.
Je pense que de nouveaux modèles écosystémiques naîtront de cette culture décentralisée, de gouvernance partagée, de financement mixte. Chez nous, l’idée du fonds de pérennité vient des fondations-actionnaires au Danemark. Une idée inspirée par Anne-Lise Bance qui était chez Prophil avant de nous rejoindre.
Umanz – Quels conseils donnerais-tu aux start-ups d’impact sur la manière de concilier scale, temps long et urgence ?
Marie Ekeland : En mathématiques, tu ne peux pas optimiser sur trois dimensions différentes. Car trois dimensions n’interagissent pas ensemble. Il y a donc une renonciation mentale à faire. Et la recherche d’une cohérence dans l’action. C’est pour cela que je préfère souvent parler d’alignement plutôt que d’impact. Cet alignement est l’ADN des entreprises systémiques et fait la cohérence de leur stratégie financière, sociale et environnementale.
Cet arbitrage délicat entre renoncement et alignement pose d’ailleurs la question des critères non financiers. Il ouvre le sujet crucial soulevé par Alain Supiot dans La gouvernance par les Nombres : il faut savoir ce que tu choisis de mesurer et de ne pas mesurer.