La beauté partout, pourquoi lisons-nous et 3 autres bouchées contemplatives - Umanz

La beauté partout, pourquoi lisons-nous et 3 autres bouchées contemplatives

Ne la lis pas…

Si cette poésie ne te donne pas envie de vivre, d’aimer, de mordre le talon de l’inconnu, de faire entrer dans ta vie tout le souffle du vent, de lancer ton rire à la face des puissances qui se croient maîtresses du monde, si cette poésie ne te donne pas envie d’accomplir ton devoir d’être juste, de pleurer toutes les larmes et toutes les peurs qui encombrent ta joie, alors elle ne te sert à RIEN, ne la lis pas, passe ton chemin et bois ailleurs l’eau qui te rendra ta pauvreté.

Emmanuel Godo, dernière page du recueil de poésie : « Puisque la vie est rouge »

Le réel n’est pas un musée

Le réel n’est pas un musée, et nous ne voulons pas nous satisfaire de toucher le monde avec les yeux. Nous voulons le prendre à bras-le-corps et nous salir les mains. Nous voulons nous ruer tout entiers, sans condition, sur ce terrain de jeu tragique qu’est l’existence.

Tenter nos propres combinaisons, rater et recommencer, rater encore et mieux, nous tromper vingt fois peut-être, mais toujours nous sentir vivants.

Nous voulons, fragilement, faire et prendre part.

La Nuit est encore Jeune (Collectif Catastrophe)

Pourquoi lisons-nous ?

Pourquoi lisons-nous, sinon dans l’espoir d’une beauté mise à nu, d’une vie plus dense et d’un coup de sonde dans son mystère le plus profond? 

L’écrivain peut-il isoler et rendre plus vivace tout ce qui dans l’expérience engage le plus profondément notre intellect et notre cœur? L’écrivain peut-il renouveler notre espoir de formes littéraires? 

Pourquoi lisons-nous sinon dans l’espoir que l’écrivain rendra nos journées plus vastes et plus intenses, qu’il nous illuminera, nous inspirera sagesse et courage, nous offrira la possibilité d’une plénitude de sens, et qu’il présentera à nos esprits les mystères les plus profonds, pour nous faire sentir de nouveau leur majesté et leur pouvoir? 

Que connaissons-nous de plus élevé que ce pouvoir qui, de temps à autre, s’empare de notre vie et nous révèle à nos propres yeux éblouis comme des créatures déposées ici-bas dans l’émerveillement ? Pourquoi la mort nous prend-elle ainsi par surprise, et pourquoi l’amour ? Encore et toujours, nous avons besoin d’éveil. Nous devrions nous rassembler en longues rangées, à demi vêtus, tels les membres d’une tribu, et nous agiter des calebasses au visage, pour nous réveiller; à la place nous regardons la télévision et ratons le spectacle.

Annie Dillard

La beauté était partout

Regarder une feuille frémir sous le souffle de l’air était une joie exquise. Haut dans le ciel, des hirondelles fondaient, viraient, se lançaient de tous côtés, tournaient en rond et encore en rond avec pourtant une maîtrise toujours parfaite comme si elles étaient retenues au bout d’élastiques ; et les mouches qui montaient et retombaient ; et le soleil qui désignait tantôt une feuille tantôt une autre, par moquerie, l’éblouissant d’or pâle par simple bonne humeur ; et parfois un carillon (c’était peut-être une voiture qui cornait) venait tinter divinement sur les brins d’herbe — tout cela, calme et raisonnable pour ainsi dire, formé finalement de choses ordinaires, était désormais la vérité ; la beauté était désormais la vérité.

La beauté était partout.

Virginia Woolf

L’âge adulte est une beauté difficile

“Je suis sûre que l’on vous a dit que c’est le meilleur moment de votre vie. C’est peut-être le cas. Mais si c’est vraiment le meilleur moment de votre vie, si vous avez déjà vécu ou que vous vivez les meilleurs années de votre vie à votre âge, ou si les quelques années à venir sont les meilleures, alors je vous présente mes condoléances. 

Parce que vous allez rester là, coincés dans ces soi-disant “meilleures années”, sans vieillir, en ne désirant que ressembler et vous sentir comme ces adolescents que des industries entières vous forcent à demeurer.

Un vêtement tout neuf de plus, un jouet sophistiqué de plus, le régime vraiment parfait, le médicament inoffensif mais indispensable, la presque dernière chirurgie esthétique élective, la dernière crème, tous designés pour maintenir votre appétit pour le statu-quo… Alors que les enfants sont éroticisés en adultes les adultes sont éxoticisés dans la jeunesse éternelle.

Je sais que le bonheur a été la vraie cible, même masquée de vos travaux ici, de vos choix d’amis et de la profession que vous allez exercer. Vous le méritez et je veux que vous le obteniez et tout le monde y a droit. Mais si c’est tout ce que vous avez en tête, alors vous avez toute ma sympathie, et si c’est vraiment les meilleurs années de votre vie, je vous présente mes condoléances car, croyez moi, il y a rien de plus satisfaisant, de plus gratifiant que le vrai âge adulte.

L’âge adulte c’est l’étendue de vie devant vous. Le processus pour devenir un adulte n’est pas aisé. Sa réussite est une beauté difficile, un gloire gagnée avec difficulté et intensité, mais dont les forces commerciales et une culture insipide ne devraient pas vous priver.

Extrait du discours (“Commencement address”) de Toni Morrison aux étudiants du Wellesley College, 2004.