Quitte à parler du Leadership de transition autant être naturelle et convaincue. Sophie Robert-Velut est tout cela à la fois, capable de parler librement et ouvertement d’impertinence, de peur, de doute, de fidélité à soi-même, de leadership en entreprise et de relier les points.
COO du groupe Mustela / Expanscience, elle a récemment rejoint la CEC, Convention des Entreprises pour le Climat afin d’accélérer la transition environnementale des entreprises françaises.
Elle a accepté de répondre aux questions de Umanz sur le sujet urgent du leadership de transition.
Umanz- Qu’est-ce que le dérèglement climatique a changé pour les dirigeants ?
Sophie Robert-Velut : La connaissance du dérèglement climatique existait déjà mais la médiatisation a accéléré la prise de conscience. Ce qui a réellement changé la donne, c’est le changement radical du comportement des consommateurs et des salariés.
Je l’avais constaté chez L’Oréal en m’occupant de Sanoflore une petite marque Bio, le changement s’est opéré du bas vers le haut. Ce n’est pas la réglementation qui a fait changer les esprits mais la consommation qui a changé de sens… Comme le dit Eric Bourgeois chez BioCoop “votre bulletin de vote c’est votre porte-monnaie”.
Le marché change par la demande et cette demande côté consommateur c’est désormais d’acheter moins mais mieux et moins polluer. Côté salarié, l’effet est tout aussi clair : “si ça n’a pas de sens, je pars”. Cette nouvelle attitude générationnelle qui modifie la manière de mobiliser la gouvernance et réclame un partage du pouvoir pour apporter le sens.
Umanz- Qu’est-ce qui ne fonctionne plus dans l’ancien modèle de leadership ?
Sophie Robert-Velut : On est passé de l’argent et la peur à la liberté et au sens. On ne tient plus les gens avec les motivations de l’ancien monde.
Ce qui motive les jeunes actifs ce n’est même plus le salariat c’est la liberté et le sens. Concrètement, cela se traduit par la recherche d’entités à taille humaine et de sens.
Umanz- Quels sont, à votre sens, les attributs du leadership de transition ?
Sophie Robert-Velut : Il y a une première composante autour de l’écoute. De la prise de conscience de son écosystème. C’est une écoute active de tes salariés, de tes parties prenantes, de ton public, tes utilisateurs, tes clients. On considère désormais son entreprise comme faisant partie d’un tout systémique en fonctionnement cohérent. Ce composant d’écoute implique un travail collectif avec les partenaires et les tiers de confiance pour établir sa feuille de route en mode collectif.
Il y a ensuite le sujet de la subsidiarité. Ce composant essentiel que j’ai appris et que j’essaye de pratiquer au quotidien chez Mustela : redescendre le niveau de décision. S’appuyer sur la personne qui a le plus de compétence pour faire et aussi sur les personnes qui vont être touchées par les conséquences de la mise en place d’un produit ou d’un service. En bref, ne pas escalader les décisions et apprendre à faire confiance et à lâcher-prise pour le dirigeant. Pour beaucoup; c’est une inversion des valeurs et c’est pour cela que certains ont du mal à se défaire de l’habitude de mesurer leur pouvoir aux nombre de décisions qu’ils prennent alors que ce devrait être l’inverse. Encore une question de peur…
Il y a enfin une question de mesure d’impact: on n’effectue pas de transition radicale sans s’appuyer sur les bons certificateurs, sans une analyse approfondie des cycles de vie. Si tu ne fais pas ça, tu restes dans le vœu pieux. Or la question RSE implique beaucoup de process et de technologies. La décarbonatation est un sujet éminemment complexe à niveau de détail élevé qui peut être mal exécuté voire même contre productif.
Umanz- Comment cette nouvelle vision du leadership se traduit-elle au quotidien dans les actions de Mustela ?
En 2018, nos efforts et nos engagements ont été récompensés par la certification B Corp.
Depuis un an, nous bougeons les lignes sur le regard porté sur la parentalité. Soutenir, au lieu de multiplier les injonctions culpabilisantes. Nous mettre au service d’une plus grande sérénité de tous les parents, les aider à se faire confiance. Sans jugement, et sans calcul.
Dans le cadre de la transition écologique et sociétale nous avons également mis en place la gouvernance par projet et porté le sujet RSE en open innovation. Les groupes projets sont multidisciplinaires et multi-hiérarchiques. Depuis deux ans, les grandes transformations essentielles à la survie de notre entreprise passent par des groupes projets et la transversalité permet de dépasser les silos. Elle encourage la prise d’initiatives autour de nos objectifs de décarbonation, de zéro déchet sans notion de peur ni de sanction. Le message est : “C’est votre boite comment voulez-vous la voir dans 10 ans ?”.
Sur le sujet environnemental nous avons pris le parti chez Expanscience de réduire plus que compenser pour arriver à une neutralité dans 10 ans, de ne plus créer de matière nouvelle en emballage et nous lançons aussi le vrac en pharmacie.
Umanz- Quelles actions allez-vous mettre en place à travers la Convention des Entreprises sur le Climat ?
Sophie Robert-Velut : D’abord, la CEC nait d’une urgence. Nous voulons nous regrouper dans un temps court pour être à la hauteur du momentum créé par la Convention Citoyenne, avec une initiative à durée limitée qui génèrera un cahier de propositions concrètes, exigeantes, touchant aux entreprises, aux pouvoirs publics, aux associations professionnelles : les entreprises aussi doivent se remonter les manches et prendre leur part de la nécessaire refondation.
La diversité des profils d’entreprise qui formeront la Convention des Entreprises pour le climat est essentielle. On veut donner une impulsion à l’ensemble du tissus économique français : si on veut que les propositions soient actionnables immédiatement mi 2022, il est essentiel que l’initiative ne regroupe pas uniquement des entreprises déjà engagées dans la décarbonation. Il faut aussi pouvoir être représentatif des difficultés des entreprises de toutes tailles à engager la transformation et j’ai la conviction que sur ce projet, cela doit venir des entreprises elles-mêmes, non de consultants issus des « milieux autorisés parisiens ». En revanche, la méthode employée, le contenu et les rencontres qui vont permettre d’aboutir à l’écriture de nos propositions ainsi que la capacité que nous aurons à faire un lobbying efficace sont clés.
Une fois ensemble, nous travaillerons avec l’Institut des Futurs souhaitables pour changer l’état d’esprit des différents acteurs de l’écosystème, accélérer la mise à niveau sur les sujets du dérèglement climatique, de la décarbonation et des nouvelles gouvernances. Ces moments descendants d’acculturation nous permettront d’établir les propositions de la CEC pour nos propres entités, les syndicats d’entreprises et les distributeurs.
Umanz – Au quotidien, comment une dirigeante telle que vous arbitre entre ce qui compte, ce qui ne compte plus et ce qui ne doit pas être compté ?
Sophie Robert-Velut : Je n’ai pas les chiffres en horreur. Il faut juste évaluer quelle est à la fois la bonne information et le bon niveau d’information. Cela ouvre la question de l’écologie de la data. Il faut juste identifier les indicateurs nécessaires et suffisants pour prendre la bonne décision.
La question des indicateurs clés remet une nouvelle fois , le sujet de la subsidiarité, et donc de la confiance, au centre du jeu. Quels sont les chiffres dont chaque chef de projet a besoin pour prendre une décision dans son métier ? Un bon leader doit savoir libérer les actions du middle-manager ne pas s’approprier ses indicateurs et sa liberté de décision.
Le sujet de la frugalité de la data est aussi une question clé du leadership de transition.