Il y a des gens qui « existent » pour nous.
Peut-être ne les avons-nous vus, aperçus, qu’une seule fois.
Peut-être en avons-nous seulement entendu parler.
Cependant ils sont parmi ces témoins intérieurs
qui nous accompagnent, qui nous sont force et lumière pour vivre.
Tel souvenir, telle image d’homme ou de femme
m’aide à vivre depuis des années.
J’ai besoin de savoir que ce sourire, cet humour, ce regard
sont toujours vivants,
même de bien loin dans l’espace et dans le temps.
Si je savais qu’ils se sont éteints,
le monde et ma vie en seraient ternis et affaiblis.
Comme si l’on annonçait que désormais il n’y aura plus d’étoiles.
Ces êtres crient la vie.
Ils sont source, pour beaucoup,
fontaine vive de liberté,
chant d’humanité.
Bien au-delà du sommeil de la mort,
leur parole, leurs gestes, leur visage unique
donne la vie.
La contagion de leur être, jusqu’où ira-t-elle,
fécondité sans limite ?
Même si je n’y donne pas un instant de pensée,
j’ai besoin de l’herbe de la colline, des choeurs des grillons l’été,
des enfants partout dans le monde :
je suis tissé de tous ces êtres.
Mais comme j’ai besoin de la silhouette et de la démarche
des compagnons intimes de ma vie…
Et peut-être qu’eux aussi,
à quelques paliers de la mémoire vivante
qui nourrit la ferveur de leur visage,
ont besoin de me reconnaître
et de savoir que je suis toujours
le frère entré chez eux.
Gérard Bessière, 2 février 1970