C’est un signal faible comme l’habile et iconoclaste blogueur Venkatesh Rao en produit régulièrement. Il s’intéresse depuis des années au phénomène de “Lore” dans les jeux vidéos qui désigne tous les éléments de l’histoire et de l’arrière plan qui ne sont pas liés à l’intrique principale : les personnages, les spécificités de l’univers, le décor, les règles du monde et qui constituent souvent l’ADN, l’âme d’un jeu reconnaissable entre tous.
Pour lui, ce “lorecraft” est une nouvelle école de pensée qui remplacera à terme les principes de management moisis dans les organisations. Le “Lore” dans l’entreprise est le folklore informel qui s’organise autour de la machine à café, une culture qui se situe à l’intersection du story-telling et de la construction de mondes. Le Lorecraft est un nouveau principe de leadership.
Pour cela, il s’inspire de cadres designés par d’autres wizzards des jeux et du D.A.O : Rafael Fernandez, Kei Kreutler et John Palmer. Dans le schéma suivant repris par Venkatesh Rao dans son article, Rafael Fernandez établit le “Lore” et le lexique comme principes nouveaux mais centraux des nouvelles organisations :
Accrochez vous, dans le Lore on parle de Memes, de saints, de démons, de reliques, de totems. Mais quelle entreprise n’en a pas ? Le Lorecraft est à la fois une pure production des digital natives et du jeu vidéo et une idée ancienne, presque mythique de la culture d’entreprise. Son importance ne doit pas être négligée car il ne constitue pas uniquement “la matière première de la construction de mondes” mais son sens.
Lorecraft : Jumeau maléfique du marketing
Dans les termes de l’auteur, Le Lorecraft serait aussi le jumeau maléfique du marketing dont il diffère radicalement :
“le marketing est l’histoire que les initiés racontent aux étrangers pour les influencer d’une manière ou d’une autre et Lore est l’histoire que les initiés se racontent à eux-mêmes pour gérer leur propre psyché.”
Un principe que n’ont pas encore intégré les grands MBA mais d’après certains signaux faibles, cela ne saurait tarder.
Attention, précise l’essai, Le Lore ne peut pas être conçu de la même manière que le marketing. L’art du Lorecraft consiste à accompagner, comme un jardinier, ce qui constitue l’émergence du lore dans votre organisation. Rao ne parle plus à ce propos de Marketing mais de Memetic Forecast. Car la vraie viralité vient du Lore, pas d’un marketing pré-fabriqué.
C’est d’ailleurs une règle oubliée des premiers temps d’internet : “fournis le carburant, pas l’étincelle”.
“lorsque même votre patron est potentiellement une application qui vous transmet des tâches et des primes plutôt qu’une personne, lorsque votre monde du travail n’existe pas dans le champ de distorsion de la réalité d’un Steve Jobs, mais dans le champ de distorsion de la réalité inanimée d’une suite d’outils SaaS bricolés, vous finissez par penser de manière très différente aux questions traditionnelles de supervision, d’autorité, d’attribution des tâches et de coordination.”
Venkatesh Rao
Le Lorecraft s’inspire également des 8 qualités d’une D.A.O telles que les décrit Kei Kreutler dans un mode – cela ne vous surprendra pas- cryptique : autopoïétique, alegal, superscalable, exécutable, sans permission, aligné, en copropriété et mnémotechnique.
En un sens, le lorecraft, fils étrange du gaming, est une nouvelle manière de surfer sur l’incertitude et une réponse au Big Quit qui se répand dans les organisations qui “ont perdu la ref”.
Un management issu des jeux vidéos ? Vous n’y pensez pas rétorqueront les gardiens du temple du non-sens. Là encore Rao enfonce le clou :
“Est-ce que tu préfères courir aveuglément vers une falaise, armé d’une feuille Excel remplie de data durement acquises mais profondément défectueuses, sans savoir que la falaise est là, ou bien naviguer de manière réfléchie avec des modèles mentaux modulés par l’incertitude, avec l’inconnu au premier plan sous la forme d’une carte de tarot ? »
Un MBA en “World Building” ?
Le “World Building” sera t-il un jour enseigné dans les écoles de commerce ? En tout cas, les règles du jeu doivent changer, car dans les vieilles machines sans âme où les humains sont réduits à des rouages, les rites corporate et la vieille magie ne marchent plus.
Le Lorecraft représente aussi une sortie par le haut du monde mécaniste, de la vision scientifique du travail et l’automatisation des hommes. Il est une forme de détour par la pensée magique et une réponse à la grande incertitude ambiante. C’est aussi une forme de soin et de réponse épidermique et immunitaire à l’épidémie de santé mentale. Et c’est sans doute pour cela qu’il est naturellement weird as a service.
Le management aussi a besoin de nouvelles mythologies.