“Au lieu d’écrire Par les Champs et les grèves, le futur Flaubert qui traverserait ces étendues pourrait se fendre d’un “Par les ZUP et par les ZAC”. Les bénéficiaires de ces futures aménagements feraient de bons soldats, des hommes remplaçables, prémunis contre ce que le rapport appelait “les votes radicaux”. Car c’était l’arrière-pensée : assurer une conformité psychique de ce peuple impossible.
Parmi la batterie de mesures du rapport on lisait des choses comme le droit à la pérennisation des expérimentations efficientes, et l’impératif de moderniser la péréquation et de stimuler de nouvelles alliances contractuelles. Quelle était cette langue étrangère ? De quoi les auteurs de phrases pareilles nourrissaient-ils leurs vies ? Savaient-ils le plaisir de s’essuyer la bouche d’un revers de la veste après une goulée de vin de Savoie, la jouissance de se coucher dans l’herbe quand la silhouette d’un oiseau égayait le ciel ?
Le texte était illustré de cartes. Les départements hyper-ruraux au secours desquels la gouvernance s’apprêtait à voler (intelligence de l’Etat au service de l’hyper-ruralité, disaient-ils, ces troubadours !) occupaient une large zone noire.
Sylvain Tesson (Sur les chemins noirs)