Autolouange par Christiane Singer - Umanz

Autolouange par Christiane Singer

« Je suis Celle que rien n’arrête
Je suis Celle qui arrache aux morts leurs bandelettes
Je suis Celle qui n’a pas toléré de ne pas naître
Et que la haine puisse avoir le dernier mot pendant la guerre
Je suis Celle qui entre en trombe par les fenêtres ouvertes
Arrache les rideaux, décroche les volets
Je suis Celle aussi qui répare les toiles d’araignées déchirées
Qui s’alarme de quelques fourmis écrasées
Je suis Celle qui n’a peur de rien
Qui se lève et clame son indignation, sa colère devant les scandales du mépris
Je suis Celle aussi qu’une feuille en tombant effraie et qui se cache derrière la commode
Pour que personne ne la cherche ni ne la voie
Je suis celle que même la mort n’a pu faire mettre à genoux et
Qui court en enjambant les ruines
Je suis la lionne qui s’avance en rugissant
Mais aussi la lapine qui vit sous sa feuille de chou dans la rosée
Je suis Celle qui désormais n’a plus peur de vivre entre les chaises, entre les trônes.
Elle était blonde et lumineuse la mère qui m’a donné la vie, elle venait d’Ukraine
Il était fou de tendresse et de justesse, l’admirable père qui me donna la vie
Ensemble ils enjambèrent les charniers du siècle pour courir à travers toute l’Europe
Jusqu’à ce port de Marseille où je naquis
Leur course éperdue est encore dans mes veines
Elle court, elle court la vie
Cette vie qui m’habite
Qui la clouerait au pilori ?
Qui en suspendrais l’élan ?
Dans la ville de ma naissance tout était partance, voiles claquées, embruns salures
J’entrerai en trombe dans la mort comme je suis entrée dans la vie
Je n’ai jamais stagné
Je suis d’ici et je suis d’ailleurs
Mais j’ai reçu la vie aussi de George Convertisseur-de-dragons
Que j’ai aimé, que j’aime
Il marche pieds nus dans mes rêves. Il dort à l’ombre de mes cils
Jamais où je suis il n’est pas
Où que j’aille, où que je m’enfuis c’est sur lui que je marche
Nous nous sommes fait souffrir
Mais jamais, au grand jamais nous ne nous sommes trahis.
J’ai reçu la vie de tous ceux et de toutes celles que j’ai aimé et que j’aime
Ils marchent pieds nus dans mes rêves
Ils dorment à l’ombre de mes cils
Jamais où je suis ils ne sont pas
Où que j’aille, où que je m’enfuis
C’est sur eux et sur elles que je marche
Je les ai fait souffrir mais jamais, au grand jamais je ne les ai trahis
Je suis Celle que le monde sans cesse éblouit
Quand je sors de ma maison je crie tout haut :
Je suis témoin Seigneur de la merveille de ton monde, je suis témoin
Jamais je n’ai laissé l’indifférence me gangrener
J’aime ouvrir les yeux des aveugles
Comme des âmes ailées m’ont ouvert les miens
Je suis Celle qui a osé se laisser rêver par ses fils
Je m’accommode de mon imperfection
Et je porte le flambeau de la mémoire des hommes et des femmes dont je suis le témoin vivant »    

Christiane Singer