Parfois le dirigeant est dans une tour d’ivoire qu’il a construite lui même ou que l’on a plus insidieusement bâtie pour lui.
Dans ce cadre comment comprendre et comment sortir de la solitude du dirigeant ?
Eléments de réponses et de réflexions avec Valérie Beyssade, Coach de dirigeants depuis presque 20 ans.
Umanz – Comment se manifeste et d’où vient la solitude du dirigeant ?
Valérie Beyssade : La solitude du dirigeant est très fréquente. Elle vient de la position haute résultant de sa fonction. Il ne faut pas oublier que le dirigeant assume une responsabilité légale qui renforce sa solitude. Et il peut lui-même avoir tendance à s’enfermer dans une posture pétrie de certitudes qui est l’une des façons d’être qu’on attend trop souvent du leader.
Il y a solitude et solitude. Ou plus précisément il y a solitude -le fait d’être seul- et l’isolement -ne pas être en lien. On peut se sentir très seul au milieu d’autres personnes si on n’arrive pas à communiquer avec elles. Dans le cas du dirigeant, il est rarement seul, sans personne autour de lui, mais peut souvent se sentir seul, isolé, dans une impossibilité de partager, de se confier, de dire les choses ou d’entendre les vérités. Car quand ce n’est pas lui, ce sont les autres qui le placent sur un piédestal qui peut générer l’enfermement. En ce sens les autres le créent et le projettent dans une sorte d’isolement. Le statut, la hiérarchie, en distinguant, isolent et mettent à part.
C’est pour cela que lorsque l’on aborde la solitude du dirigeant il est important de distinguer : “ce que je fais moi” et “ce que les autres font” en se posant la question: “Qu’est- ce qui alimente ou favorise les conditions de la solitude réelle ou ressentie?”
L’autre impensé est que souvent, la solitude du dirigeant se manifeste lorsqu’il faut prendre des décisions difficiles, que les autres se déchargent de la responsabilité et qu’il faut trancher. Souvent dans mon accompagnement j’aide les dirigeants à exprimer leur doutes et leur droit à ne pas avoir de réponses. Un droit qu’il n’osent pas toujours afficher dans l’exercice de leurs fonctions. Mais qui est souvent salutaire et pourrait éviter bien des erreurs et des errements.
La solitude du dirigeant résulte enfin d’une hyper-occupation, le business du business, qui fait que le dirigeant n’a tout simplement plus le temps de s’ouvrir, s’intéresser à et écouter les autres. Elle peut également être l’apanage des High Potential, Hauts Potentiels Intellectuels qui ne trouvent pas, intellectuellement, d’interlocuteurs cablés comme eux avec qui il est facile d’interagir.
Umanz- Y-a t-il un avantage dans la solitude du dirigeant ?
Valérie Beyssade : Bien sûr! Il y a la solitude choisie et assumée, qui n’est pas un enfermement et qui permet de se relier à soi-même, en coupant ou suspendant provisoirement les influences qu’exercent les autres, pour trouver nos ressources internes
Ce sont ces moments de recul qui permettent de se demander ce qui est essentiel, de prendre de la distance stratégique pour savoir mieux se mettre au service de la mission de l’entreprise, ou de sa propre mission. Il ne faut pas oublier que les grands artistes peignent seuls et certaines personnes ont besoin d’être seules pour produire. Il importe parfois d’échapper aux affres de la réunionite, de la pensée de groupe et se mettre en position de créer et d’imaginer par soi-même.
L’un des attributs des grands leaders est d’ailleurs de savoir naviguer entre le “seul” et “l’avec”
Umanz- Comment sortir de la solitude du dirigeant ?
Valérie Beyssade : Il faut d’abord le vouloir concrètement ce qui constitue déjà une première étape. Il faut ensuite accepter de se dépouiller de son masque et de son armure qui sont autant de protections et qu’il faut savoir ôter. Cela implique une forme de dévoilement et de vulnérabilité qui n’est pas si fréquente.
On peut parfois s’en défaire en échangeant entre pairs ou en pratiquant un hobby ou une activité permettant de transcender sa fonction et son milieu auprès de gens radicalement différents.
Au delà de ces exutoires externes, le dirigeant peut au sein même de son entreprise apprendre à dire “j’ai besoin de vous”; Cela peut être entendu comme un aveu de faiblesse et de fragilité mais en réalité c’est un appel puissant au collectif et aux ressources de l’autre. Cette sortie de la solitude implique d’adopter une attitude authentique et de porter un regard empathique sur les autres. Le dirigeant sort alors du “Moi tout seul” et invite ses pairs et ses équipes à se mettre en capacité.
Je remarque dans ma pratique que cette notion de partage et d’attention à l’autre est déjà très présente parmi les fondateurs de startups.
Umanz- Qu’est ce que cela implique au niveau des équipes et collaborateurs ?
Valerie Beyssade : La solitude du dirigeant n’est pas unilatérale. Côté équipe, il faut avoir le courage de passer la barrière, le courage d’aller dire les choses telles qu’elles sont.
Cela implique de changer son regard sur le dirigeant tout-puissant. S’autoriser à penser qu’on a en face de soi un être humain avec très souvent une faille intérieure, ou du moins quelqu’un qui peut entendre des points de vues différents
La sortie de l’isolement se fera souvent en travaillant en inter-dépendance et en reconnaissant les qualités des uns et des autres pour mieux s’apprécier et s’appuyer les uns sur les autres..
Dans ces situations, l’intention de faire progresser les choses, le pouvoir de la parole bienveillante et “bien-disante” compte énormément.
J’observe par ailleurs que les boites qui fonctionnent bien sont celles qui ont à leur tête des tandems ou des trios, assortis d’un collectif fort.
J’encourage enfin le dirigeant à aller chercher du feedback, à être capable d’oser des questions désarmantes. Je leur dis “Va demander aux gens ce qu’ils ressentent en ta présence!”
Je suis persuadée que l’antidote de la solitude est dans le lien.