Pierre Larrouturou : "Est-ce que la dignité de l’homme est assez importante pour nous pousser à changer les règles du jeu économique ?"  - Umanz

Pierre Larrouturou : « Est-ce que la dignité de l’homme est assez importante pour nous pousser à changer les règles du jeu économique ? » 

Economiste, compagnon de route de Michel Rocard, plusieurs fois candidat à l’élection présidentielle, Pierre Larrouturou mène depuis 30 ans un combat inlassable en faveur de la justice sociale et du climat à travers Nouvelle Donne et le Collectif Roosevelt aux côtés d’Edgar Morin et de Cynthia Fleury.

Député Européen et ardent défenseur du Pacte Finance Climat, il a accepté de répondre aux questions de Umanz, à l’occasion de la sortie de son livre : « Aujourd’hui, l’esprit se révolte » 

Umanz- Votre livre a pour titre “l’esprit se révolte”  pourquoi insister sur “l’esprit” ?

Le livre Commence avec une citation de Michel Rocard qui disait en 2007 : “Plus personne n’ose parler du capitalisme or ce système entre dans une crise suicidaire à moyen terme pour l’humanité”. Michel n’est plus là, mais 13 ans plus tard, on voit bien que tout laisse à penser que le suicide de l’humanité se rapproche.

Si l’on fait le mélange de la crise sociale, de la crise climatique, de la crise démocratique, on peut connaître la barbarie, non pas dans un siècle mais dans 10, 15 ou 20 ans. La crise de 29 a amené à la Barbarie une partie du monde civilisé.

On nous a appris à l’école qu’on était des Homo Sapiens Sapiens mais parfois on se demande si on est pas des Debilus Debilus…Ça fait 30 ans que les climatologues nous disent qu’on va vers une catastrophe climatique et l’on donne 1300 milliards à taux négatifs aux banques mais ne sait pas dégager 7 milliards pour isoler les bâtiments.

Nous sommes dans une crise qui est à la fois spirituelle et culturelle…Est-ce que la dignité de l’homme est assez importante pour nous pousser à changer les règles du jeu économique ? 

Umanz- Quelles sont selon les réformes sociétales et climatiques les plus urgentes ?

Pierre Larrouturou : Les gens ne le savent pas, et je ne le savais pas il y a un an, mais c’est seulement une fois tous les 7 ans que l’on peut changer les règles du jeu au niveau Européen. Les traités sont tels que l’on a qu’une chance tous les 7 ans de choisir par exemple de taxer la spéculation. On taxe la consommation à 20% pourquoi ne pas taxer les transactions financières pour trouver 50 milliards d’Euros. Je suis député européen et rapporteur général du budget et je sais que tout se joue dans les deux mois.

Si l’on obtient cet argent on pourra réformer les retraites, la santé, les transports en commun et rendre obligatoire les travaux d’isolation pour rattraper le temps perdu.

2020 est l’une des pires années en matière économique et climatique. Mais le dérèglement climatique est véritablement devenu un monstre qui échappe à ses créateurs et a désormais sa propre autonomie.  

Umanz- Vous dites “On ne construira pas le monde d’après avec la finance d’avant » que faut-il changer dans la finance ?

Pierre Larrouturou : La Banque Centrale Européenne a fait des choses formidables en permettant pendant la crise à des états de s’endetter à 0%. En revanche quand elle prête 1300 milliards aux banques sachant que seuls 11% finissent dans l’économie réelle je dis qu’Il y a un moment où il faut choisir entre la spéculation financière et le financement du bien commun.

Je prends l’exemple de Roosevelt. Quand il arrive en 1933, il va tripler le budget fédéral pour créer des millions d’emplois, aider les agriculteurs et faire les grands travaux. Mais il veut un budget équilibré, ce n’est pas un fou furieux, il crée alors un impôt sur les milliardaires, on le traite de communiste, mais au final il a sauve la cohésion sociale et la démocratie et il est réélu une seconde fois.

Umanz- Face à l’atomisation et à la polarisation croissante, comment faire société aujourd’hui ?

Pierre Larrouturou : Je crois et c’est mon job, que l’on peut se rassembler sur des objectifs importants. Sur la question du climat on a réussi il y a un an à réunir Alain Juppé, Laurence Parisot, les gens d’Alternativa, les syndicats Européens. Dans une vidéo récente nous avons réuni les gens de cinq sensibilités politiques, le conseiller du pape en direct du Vatican, des chefs d’entreprise, des jeunes et des vieux. 

Je n’oublie pas qu’en 1989 à Sciences Po le grand spécialiste de l’allemagne que l’on avait fait venir avec Pascal Ory nous a déclaré que le mur de berlin était encore là pour 50 ans.

Si on est des millions à vouloir changer les choses. On peut diviser par 2 le CO2 et donner envie au reste du monde de faire pareil.

Umanz- Qu’est-ce que votre expérience politique vous a appris sur la lutte contre l’apathie, le réveil et “l’insurrection des consciences” chère à Edgar Morin ?

C’était le sujet de notre dernière discussion avec Stéphane Hessel. Stéphane était dans son lit, il savait qu’il allait peut être mourir. J’arrive, j’ai passé une heure assis sur le bord du lit. Il m’a d’abord rappelé les paroles de Vaclav Vavel : “Contempler le miracle de l’être”. 

Il m’a dit ensuite qu’il fallait lutter contre le désespoir. “Beaucoup de gens pensent que c’est foutu, on a connu des systèmes inhumains qui paraissaient là pour l’éternité. On a connu l’apartheid, on a vu la fin de l’apartheid. On a connu le mur de Berlin et on a connu la fin du mur de Berlin.

Il m’a rappelé enfin que ce sont souvent les gens ordinaires qui changent le monde et font arriver les choses et cette citation bouleversante de Vaclav Havel que je mets à la fin du livre :

«Le peuple s’est réveillé avec une rapidité bouleversante. Il veillait et attendait le moment propice. Tous ceux qui n’avaient pas peur. Tous ceux qui ne mentaient pas dans la vie quotidienne et ne craignaient pas d’élever leurs enfants selon ces principes ont apporté leur contribution. 

Chacun de nous peut changer le monde.»

Croire en la dignité humaine, c’est croire qu’on est des millions à vouloir le bien.


 

Dans son livre “Aujourd’hui l’esprit se révolte” Pierre Larrouturou rapporte ce dialogue poignant au téléphone avec un climatologue désespéré après un conseil d’état Européen sans effet :
« Ont il conscience que ce qui est en jeu c’est l’avenir de l’humanité? Ont-ils conscience que ce n’est pas un problème théorique, que ce n’est pas un problème budgétaire parmi 25 autres problèmes? On sait très bien qu’aucun pays tout seul n’arrivera à relever le défi. Ne rien faire de sérieux au niveau européen pendant 7 ans, c’est se condamner à vivre l’horreur dans 20 ans. Ont-ils compris que, de leur vivant, on verra des scènes d’horreur et de désespoir? Un désespoir monstrueux quand des millions de citoyens souffriront dans leur chair du dérèglement climatique. Un désespoir très violent quand tous comprendront qu’il n’est plus possible de stopper ni même de ralentir la catastrophe… Ont-ils compris que leurs enfants les insulteront ou refuseront de leur parler ? Ils oublient leurs enfants quand ils rentrent dans la salle de négociation ? Ils laissent leurs enfants et leur conscience au vestiaire en rentrant dans la salle de négociation ? Ils ne gardent que leur calculette et leurs conseillers les plus cyniques ?”
 
Biographie de Pierre Larrouturou :
 
Pierre LARROUTUROU est né en 1964 à Périgueux (France). Ingénieur agronome et diplômé de
Sciences-Po, il est marié et père de deux enfants. Il a travaillé pendant 11 ans chez Arthur Andersen
devenu Accenture.
 
En 1995, il est à l’origine de la loi qui permettra à plusieurs centaines d’entreprises de négocier de
nouvelles formes d’aménagement et réduction du temps de travail, pour créer massivement des
emplois.
 
En 2012, avec Michel ROCARD, Stéphane HESSEL, Edgar MORIN et Curtis ROOSEVELT (le petit-fils de
FDR), il crée le collectif ROOSEVELT et propose 15 réformes pour un New Deal européen.
 
En décembre 2017, avec le climatologue Jean JOUZEL, qui était vice-président du GIEC quand le GIEC
a reçu le Prix Nobel de la Paix, il publie « Pour éviter le chaos climatique et financier » (préface de
Nicolas HULOT) et lance une initiative européenne pour obtenir un Traité européen finançant la lutte
contre le dérèglement climatique en Europe, en Afrique et sur tout le pourtour de la Méditerranée.
 
En 2019, il est élu au Parlement européen avec Nouvelle Donne. Il est maintenant rapporteur
général du budget 2021 de l’Union.