Nous avons en tête des milliers de sourires, parmi ceux-ci certains ont laissé une marque indélébile ou d’éternels regrets. Il y a des sourires du matin et des sourires du soir et nous avons tous un jour rencontré un sourire qui nous a transformé.
Il y a ce sourire singulier, rarement rencontré mais éternel, si bien exprimé par Scott Fitzgerald
“Il me sourit avec une sorte de complicité – qui allait au-delà de la complicité. L’un de ces sourires singuliers qu’on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassure à jamais. Qui, après avoir jaugé – ou feint peut-être de jauger – le genre humain dans son ensemble, choisit de s’adresser à vous, poussé par un irrésistible préjugé favorable à votre égard. Qui vous comprend dans la mesure exacte où vous souhaitez qu’on vous comprenne, qui croit en vous comme vous aimeriez croire en vous-même, qui vous assure que l’impression que vous donnez est celle que vous souhaitez donner, celle d’être au meilleur de vous-même.”
Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le magnifique (1925)
Il y a ces sourires éclatants, riches et gratuits qu’évoque Raoul Follereau
Un sourire ne coûte rien et produit beaucoup, Il enrichit celui qui le reçoit sans appauvrir celui qui le donne, Il ne dure qu’un instant, mais son souvenir est parfois éternel, Personne n’est assez riche pour s’en passer, Personne n’est assez pauvre pour ne pas le mériter, Il crée le bonheur au foyer, soutient les affaires, Il est le signe sensible de l’amitié, Un sourire donne du repos à l’être fatigué, Donne du courage au plus découragé Il ne peut ni s’acheter, ni se prêter, ni se voler, Car c’est une chose qui n’a de valeur qu’à partir du moment où il se donne. Et si toutefois, vous rencontrez quelqu’un qui ne sait plus sourire, soyez généreux donnez-lui le vôtre, Car nul n’a autant besoin d’un sourire que celui qui ne peut en donner aux autres.
Raoul Follereau
Il en est d’autres plus énigmatiques et retenus qui disent le recul et le pas de côté comme cet étrange sourire distant de Marguerite Yourcenar si bien décrit par Mathieu Galley
» Elle contemple le monde en face, et les hommes, avec un amour abstrait qui peut faire peur, comme celui des saints. Mais elle a en elle des feux qu’on devine.
Malgré son sourire de Minerve, si retenu et même un peu distant, c’est une visionnaire qui vous contemple, de ce oeil bleu où se retrouve, intacte sous la paupière alourdie, l’innocence glacée de l’enfant, devant un monde qui croule. »
Mathieu Galley, Dans “Les Yeux Ouverts : Entretiens avec Marguerite Yourcenar”
Il y a aussi des sourires qui ont vécu. Des sourires marqués qui portent en eux le charme et la densité d’une vie comme ce sourire capté l’espace d’ un instant fugace par Blaise Cendrars
C’est une femme de cœur. Elle a de la branche. Dans un visage d’un bel ovale, des yeux immenses que voile, je ne dirai pas une énigme ou de la tristesse, mais un mystérieux sourire, un peu battu et par moments presque effacé.
Je suppose qu’elle a trop vécu et qu’elle en a de la répulsion. Il ne sied pas à une noble de faire deviner un besoin. Je la devine insatisfaite. Qui va contre ses désirs va à sa perte.
Blaise Cendrars, (Emmène moi au bout du monde)
Il y a enfin ces sourires de joies pures, ces sourires fantasques des grands amoureux, ceux qui peignent les jours de nouvelles couleurs
Oui, j’ai besoin de toi, mon conte de fées. Car tu es la seule personne avec laquelle je puisse parler — de la nuance d’un nuage, du chant d’une pensée, la seule à qui je peux dire qu’aujourd’hui, en partant travailler, j’ai regardé en face un grand tournesol et il m’a souri de toutes ses graines. »
Lettre de Nabokov à sa femme Vera